C'est un livre attachant. Plaisant. La lecture fluide. Tant par la simplicité de l'écriture, que par l'histoire narrée. Avec cette pointe d'humour distillée dans des mots de tous les jours, truffés de bon sens que le personnage principal possède malgré lui mais qu'il ne libère pas à sa convenance. Celui aussi naturellement compris dans l'ossature de l'esprit de l'Algérien à travers d'autres acteurs de cette romance qui n'en est que plus belle que par sa tragédie répétitive à travers des décennies revisitées par l'auteur qui s'en va ‘'retourner le couteau dans la plaie''. Ainsi se présente «Je brûlerai la mer» de Youcef Merahi, paru cette année chez Casbah Editions. Dans d'abord cette si jeune paix fraîchement acquise, puis ses retombées en ces années 1970, partagées entre socialisme et légitimité historique, puis le début d'une démocratie balbutiante et génératrice d'une ‘'guerre'' qui ne veut pas dire son nom… cette décennie noire à ne pas oublier, et puis, et puis… cette Algérie à laquelle le personnage principal a mal, comme chacun de ceux dont fait le portrait l'auteur. Vivace, vivant, ressemblant à des milliers d'Agériens qui s'entrechoquent en ne se rencontrant jamais. Un mal être dont le personnage sur lequel s'appuie le roman, se passe volontiers, pour si peu de réception fait à ses jugements. Et surtout devant ce qu'il risque de la part de ceux qui détiennent les rênes et même ceux qui sont dérangés dans leur quiétude surfaite. Amar Boum'Bara a choisi de s'en cacher au point d'en avoir peur. Demeurer en arrière-plan, depuis l'école jusqu'à cette mairie où il se confine dans le comptage des naissances et des morts. Lui et ses compères comme tous les actants et les adjuvants de cette œuvre romanesque mais pas moins réaliste, traversent le dernier roman de Youcef Merahi dans une longue escale critique, qui ne juge pas mais fait état de situations qui se conjuguent au passé et se prolongent dans un présent que l'Algérie vit en soubresauts vers un avenir comme chacun se le prédit. L'idéal existerait-il donc ? Le jugement se fait omniprésent sans se déclarer ouvertement. Comme tous ces sentiments malotrus, hypocrites, hypnotisés, presque coupables qu'enfouissent les personnages de Youcef Merahi, choisis sciemment pour intervenir dans chacune des situations que l'Algérie a connues. L'auteur en parle en connaissance de cause, une réalité connue de tous, que chacun a vécu à sa manière fatalement un jour. Le lecteur d'emblée se retrouve dans cet embrouillamini. Une dichotomie entre la mort et l'amour pour ne pas dire la vie, dans lesquels se débattent les héros de «Je brûlerai la mer». FICTION ET RÉALITÉ, DEUX EN UN Jamais écrit ne s'est autant confondu avec la réalité. Au point où on ne sait quand la fiction commence et quand elle s'arrête. Tantôt elle s'inscrit dans la trajectoire de lieux dits, d'espaces, d'événements et de personnages venus droit de la réalité algérienne. Tantôt dans un rêve emprunté à chacun de ces petites gens autour desquelles se tisse la trame, presque fatale. Un roman autobiographique ? On serait tenté de le croire car Merahi s'implique sans prendre ses distances. Presque du déjà vu. On en devine même les contours, les lignées… sans surprise. Avec ce recours à la première personne du singulier, du pluriel, et même lorsqu'il est des interventions à la troisième personne, le lecteur ne s'y trompe pas. L'auteur lui tient la main et le trempe dans la même ambiance de laquelle il fait émerger ses pulsions. Une facilité presque que cette histoire qui n'est pas du tout inventée de toutes pièces. Dans laquelle de surcroît tous les Algériens jouent un rôle, dans lequel chacun se retrouve ou reconnaît ses semblables ou des personnes de ses connaissances… Une paresse de l'auteur ? Plutôt un empressement de vomir ce qui lui tiraille les entrailles, comme un besoin de dire, de dénoncer même si Merahi sait qu'il n'a rien inventé. Mais il faut savoir calquer cette réalité et la traduire en mots. Ce qui est bien fait par l'écrivain qui ne peut s'empêcher de puiser dans des clichés stéréotypés, il en use et use, à satiété, et dans cet excès, il est des situations qui parfois frisent l'intolérance, dans la violence des propos qu'il fait siens, qu'il assume…. Au point où la résultante de ces descriptions prête à équivoque, peut-être parce que jetées à la face toutes nues, sans prendre de gants. Et que l'écrivain aurait bien pu tourner autrement, d'autant que l'on retrouve souvent des images bien rendues de situations qui font sourire et même rêver. Et qui n'en sont pas moins fortes. Pour ne donner raison à aucune période, à aucun de leurs acteurs, d'où ne pointe aucune nostalgie sinon le référent intellectuel, culturel d'une époque certaine qu'à vécu Merahi et les Algériens de sa génération. LE POÈTE REVIENT TOUJOURS C'est cela d'ailleurs, ce côté poétique, qui trahit Merahi beaucoup plus poète au point où sans faire attention ou peut-être parce qu'il les affectionne bien, on retrouve des expressions déjà usitées dans ses recueils de poésie, dans «Je brûlerai la mer». Il y a aussi comme une évidence, où il est question d'Oran, la ville fétiche de Merahi qui lui a consacré des recueils, à laquelle il revient toujours. En un détour incontournable. Et si le roman, le premier véritablement même précédé par «Post scriptum» beaucoup plus un texte en prose, commence mal, paradoxalement s'achève bien. Tous les intervenants se sont retrouvés là où ils ont rêvé de se retrouver, beaucoup plus par fatalisme, par manque de perspectives devant un horizon obstrué, exception faite pour Akli z'yeux bleus qui comme un message, amène à cette conclusion que l'avenir peut n'appartenir qu'aux gens qui osent. Akli est le seul à avoir su transcender ses rêves et aller au de là que lque soit le prix à en payer. Il a brûlé la mer pour une autre vie. Donnant par là la réplique aux harraga, Youcef Merahi a choisi là un terme plus fort que partir clandestinement, et qui si l'on regarde bien, étymologiquement et dans le sens littéral, rapporté dans l'arabe dialectale, il est un effet de brûlure comme si le personnage voulait réduire sa vie antérieure en cendres, comme lui-même brûlé à vif, donnant le dos au pays, à son passé, réduit à néant… Même si en fait tous les autres préfèrent rester contre vents et marées, car ils n'ont pas de pays de rechange. «Je brûlerai la mer», c'est plusieurs histoires en une. Celle qui fait porter le pays par ceux qui le subliment à un point de non-retour. Qu'ils veulent autre. Autrement. Qu'ils reformulent à leur manière. Merahi a osé l'écrire. Il est à lire. «Je brûlerai la mer» de Youcef Merahi, Editions Casbah, 142 pages, prix public : 380 DA.