Photo: Horizons. Icheraiouène est l'un de ces innombrables villages qui peuplent la Kabylie et couvent jalousement la mémoire séculaire de ses montagnes majestueuses. Icheraiouène ou comme l'appellent certains Cheraioua a vu naître de grandes figures et des icônes incontestées, dont le destin a profusément irrigué l'histoire de la région. De ces hommes illustres bercés par les oliviers et les figuiers, il est un célèbre poète dont l'héritage se savoure encore de nos jours. Mort en 1906 et enterré à Askif Ntmana du côté de Aïn El Hammam, il a révolutionné lyriquement la poésie kabyle, à telle enseigne que son nom se confond avec cet art qui sert de réceptacle à la tradition orale. Ce troubadour qui a sillonné les contrées, souvent à pied, poussant même ses pérégrinations jusqu'à Tunis, n'eut de cesse de rendre, durant toute sa vie et à travers ses rimes, hommage à la femme, à la terre et a aussi mis en garde contre la fausse amitié et ses méfaits. Il s'agit de Si Moh Ou M'hand qui fut contraint à la déportation en 1857, à l'image des anciennes familles d'Icheraiouène qui habitaient à cette époque-là le cœur de Larbaâ Nath Irathen avant que son ciel bleu azur fut devenu ténébreux à l'arrivée des armées coloniales françaises qui ont charrié sur le bout de leurs canons et de leurs fusils la mort et la privation. Qu'à cela ne tienne ! Le destin de Si Moh Ou M'hand et de son village natal ne s'arrête pas à cette page sombre de l'histoire, loin s'en faut. En effet, après la déportation, des familles de l'ancienne Cheraioua s'étaient établies dans les villages voisins de Larbaâ Nath Irathen qui, entre-temps, fut rebaptisé par les envahisseurs : Fort Napoléon. Les autres ont trouvé terre d'asile dans l'actuel Icheraiouène, dans la commune de Tizi Rached. Là où trône le mausolée du saint vénéré des lieux, en l'occurrence Cheikh ibn Arab El Houcine qui était de son vivant, selon les anciens du village, un lieutenant de l'Emir Abdelkader durant son insurrection contre l'occupant français. LE TRÉSOR IMMATÉRIEL SAUVÉ DES GRIFFES DES COLONS En venant s'établir dans sa contrée d'adoption, la population d'Icheraiouène a ramené avec elle son trésor. Non pas une richesse matérielle, puisqu'elle fut spoliée de ses biens par les soi-disant porteurs de civilisation, mais un mode d'organisation dans le village qui a, des siècles durant, veillé sur sa cohésion, sur son union et surtout il a pu et su comment ancrer parmi ses membres l'esprit de la solidarité, la vertu d'aider son prochain et de l'assister sans aucune distinction de rang ou autres considérations. Un système organisationnel, nommé TadjemaâÂt auquel toute la communauté villageoise contribue pour sa pérennité. A sa tête un comité de sages y siège, dont le mode d'élection ou de désignation a évolué et s'est à chaque fois adapté aux circonstances et aux exigences des ères successives. « Durant les anciennes époques, aussi loin que puisse remonter la mémoire des mes grands-parents et mes parents, généralement, je dis bien généralement, les membres du comité (les sages) sont choisis parmi les familles qui constituent le village. Ce conseil une fois installé désigne à son tour son responsable. Les missions principales qui lui (le conseil) sont dévolues s'articulaient autour du souci de bien-être des villageois. Pour y parvenir, des lois y sont établies. Parmi elles, des limites (Thilissa) qui sont automatiquement imposées à tout villageois faillant à une obligation ou bien ayant, d'une manière ou d'une autre, porté atteinte à autrui. Outre l'application de ces règles, les sages assainissaient les conflits et les litiges de différents ordres qui pouvaient survenir entre les familles du village ou entre les membres de la même famille. Dans le volet qu'on pourrait qualifier aujourd'hui de social, le comité des sages de l'époque organisait la Touiza (volontariat) pour des travaux concernant tout le village ou une partie. Dans ce cas, tous les hommes y participaient obligatoirement. Les récalcitrants se voyaient irrémédiablement sanctionnés », raconte Da Mohand Ben Rezki, un habitant d'Icheraiouène. Et d'ajouter : « par son action, le comité des sages a été en quelque sorte le gardien des traditions qu'il perpétue jusqu'à présentement à travers, entre autres, Thimechret (Ouâada) qui est organisée durant les fêtes religieuses souvent lors de la célébration de Achoura. Tradition qui matérialise on ne peut mieux l'esprit de partage entre les membres du village. En effet, des bœufs et des moutons sont offerts à cette occasion par les notables. Les citoyens de condition normale contribuent, quant à eux, par des sommes d'argent selon leurs possibilités. L'argent collecté sera aussi destiné à l'achat de bœufs ou de moutons. Le jour «J», c'est-à-dire lorsque les bêtes sont égorgées, la viande sera partagée à égalité entre tous les citoyens du village, de sorte que ce jour-là, les pauvres et les riche mangeront le même repas agrémenté de viande».