«L'Olympe des Infortunes» roman, Yasmina Khadra, Editions Julliard 2010 Une déferlante vertigineuse de mots incandescents accompagne le lecteur du dernier roman de Yasmina Khadra, qui remet ça aux Editions Julliard. Non encore mis sur le marché, ce livre est livré pour sa promotion, à la presse. Cet écrit paru ces jours-ci ne sera visible qu'au Maghreb du livre qui se tient à Paris ce début février, les 6 et 7. «L'Olympe des Infortunes» est on ne peut plus strident de vérités qui renvoient à nos esprits oublieux, combien la vie peut-être cruelle pour ceux qui ne sont pas nés sous la bonne étoile. Ou qui ont égaré la leur. Des gens comme le plus commun des petites gens, ramassent à grands coups portés à leur sensibilité, à leur personne, leur quotidien perdu dans le dédale d'espoirs déchus, dans le tourment de sentiments enterrés vivants ; dans la réalité d'un ailleurs qui a dénaturé le présent, pour révoquer le passé. Yasmina Khadra se joue des mots et des expressions, en use et en abuse sans jamais lasser. Pour convoquer ces images tellement vivantes de personnes mortes dans leurs tréfonds les plus tumultueux et qui feignent de vivre à pleins poumons. Dans une vie à laquelle, ils ont remis leur démission. Sans rémission. Mais une vie qui mérite tout de même d'être vécue, comme le rappellent les personnages de ce roman, à brûle-pourpoint. Qui tentent de faire avec les rappels à l'ordre de cette même vie qui ne leur épargne même plus d'autres épreuves, comme la séparation, l'abandon, l'indifférence. Là où ils cogitent, chacun en son for intérieur. Mais est-ce possible dans cette décharge où un ramassis de vies ratées se sont rejointes pour tenter de refaire surface, avec ce qui leur reste de dignité, de fierté et de décence perdus au détour d'un acte, d'un accident, d'un geste ?… Qui remplit ce terrain vague d'une déchéance humaine inexorablement frétillante d'humanisme. Qui se refuse à toute concession, qui se défend de se voir ramassé à la petite cuillère. Et que Ach, le personnage principal, Ach, prononcez H, qui rappelle le grand H de l'Homme, autour duquel se tisse la trame narrative, explosive de sens et de sonorités musicales. A l'image de Ach, ce borgne qui voit au-delà de son unique œil, qui a du cœur même s'il le cache, le vers en poupe qui danse sur les fils d'un banjo. Aux intonations plus fortes que cette fureur des vagues, faites pour gronder contre cette misère alentour. Dans lesquelles se réfugient chacun à sa manière, les actants de ce roman bouleversant. Car réel, par-dessus cette fiction que se veut cet écrit. TRANCHES DE VIE, TRANCHES D'HUMANISME Il y a aussi, Junior le simplet, le protégé de Ach; le Pacha qui trône en nabab, et toute la smala d'ivrognes qui l'entoure et sur laquelle il sévit : Pipo, Négus, Clovis, Mama et son Mimosa, Bliss, les frères Zoudj, Aït Cétéra, Dib… Des hommes qui cachent leurs «arriérés» dans des pensées secrètes, que chacun d'eux garde enfouis en lui. Des secrets parfois déflorés en portant le coup fatal à l'amour-propre de chacun, jamais révélé au grand jour. Comme si au milieu de ces ordures qui s'amoncellent, dans lesquelles ils pataugent, vivent et non vivotent comme ils le croient ferme, en y soutirant leur subsistance et extraient leur désormais existence, et face à cet océan, venus à point nommé pour engloutir leur solitude, noyer leur chagrin qui remonte incontestablement à la surface… Dans cet amas de vies vomies par une vie parallèle, à laquelle s'oppose la ville, ses rêves, ses lumières, son mystère, ses bruits…Khadra y met toute sa verve d'écrivain pour venir achever à bout portant, des situations qui renvoient sans ménagement aucun, à une réalité amère. Qui est pensée bas et que l'auteur dissèque à coups de mots tellement profonds qu'ils remuent au plus profond intérieur du lecteur, qui se surprend à culpabiliser de ne pas l'avoir dit tout haut comme le fait pour lui l'écrivain. Ce dernier donne une belle tranche d'humanisme, de douceur, de gentillesse, de larmes, de béatitude à cette frasque de la vie d'aujourd'hui, dans un pays donné, à la fois locale et universelle. Une transposition de l'Homme tel que Beni Adam, la conscience qui même chassée par ceux qui se sont faits violence, revient au galop à en rendre malade Ach qui revient à la raison pour nier tous les principes inculqués au demeuré de Junior ; auquel il est asséné une autre vérité, toute contraire de ce que le borgne de Ach lui a toujours instruit sur la vie, ses bienfaits et son essence, dans la ville où elle grouille. Junior écoute, admire et obéit comme toujours à son protecteur. Il en fera les frais à ses dépens. Revenu au bercail après une longue absence mal supportée par Ach, il retrouve les siens, alors que Ach décide d'abandonner à bout de force… contre la fatalité, la destinée courbe l'échine. «L'olympe des Infortunes» est un magma de tranches de vies de tous les jours, aussi tonitruantes que pâles, dans lesquels remuent allègrement tendresse, rêves, mensonges, effronteries, loufoqueries, désespoirs et lendemains enchanteurs à partir de l'incertitude. La honte n'a pas lieu d'être. Elle est bue. Elle est expulsée et assumée. Khadra passe d'un état à un autre avec une facilité déconcertante, désarmante, que même le mot, encore lui, s'en trouve transformé au gré des sentiments décrits et décriés à la face des paumés de la décharge publique que la solitude unit en une force contre le défaitisme. Même si au fond de chacun des actants de cet immense espace fait des restes de la ville, il est ce fait d'abandon. De soi-même. Des leurs. Des croyances. Et de la vie tout court. L'HOMME, CETTE PHILOSOPHIE Khadra fait parler ses acteurs et leur fait mordiller à fond l'expression, leur âme et leur esprit impossible à détourner d'un passé que seul Beni Adam dénonce sans vergogne. Et ce n'est que là, que les hommes de ‘'L'Olympe des Infortunes'', prennent peur, de crainte que leurs mensonges n'éclaboussent leur assurance, leur vantardise, leur quiétude devant les moins lotis, les plus vulnérables, les plus naïfs… comme le fait Bliss en essayant de rattraper Junior des déblatérations de Ach, qui s'est rendu coupable d'avoir materné le simplet… Les chiffonniers et les détritivores sont en fait des êtres somme toute normaux. Doués d'intelligence, de sentiments, de rêves et d'espoirs. Des gens même à part. des marginaux qui ont choisi par la force des choses de se laisser choir au ban de la société. Que Khadra décrit individualiste, égoïste, inhumaine, sans tripes, inodore, incolore devant ce qu'il veut montrer dans chacun des personnages dont le duplicata en fait est au sein de cette société même. Qui rejette le meilleur d'elle-même sans se rendre compte. Et par dichotomie, ce sont peut-être ceux qui habitent la ville qui en sont les plus mauvais. Car après tout, transparaît entre les lignes cet avertissement de l'auteur, en pénétrant les vies antérieures de quelques personnages : nul n'est à l'abri, un jour, de ce terrain vague, de cette grande solitude, de ce dépotoir, si près de Dieu et des hommes … ‘'L'Olympe des Infortunes'' est cette digression philosophique qui questionne l'existence, l'Homme, la nature humaine, Dieu, le pourquoi de la vie, de la naissance, de la mort ; qui s'étale sur ce coin obscur de l'enfer et du paradis, de la folie et de l'univers… ‘'L'Olympe des Infortunes'' est un livre délire qui s'éprend de chacun de nous, mais si bien rendu par l'écriture Khadra. Le bon délire qui lave les corps et les âmes comme fait Mama avec son Mimosa, comme tentent de le faire les personnages du roman qui s'entrechoquent, en s'insultant, en se dénudant. Chacun à sa manière. Et la manière Yasmina Khadra est une purge de l'esprit obstrué par les vues du corps et du cœur, trop enclins aux excès, à la bestialité, à la gourmandise, aux avatars de l'intérêt suprême personnel, qui nie le droit d'autrui à un peu de bonheur. Qui serait complet s'il était un tant soit peu partagé. Et c'est cela l'ennemi de l'homme qui explose à la face d'un lecteur abasourdi au bout des 232 pages de ce roman, de tant de vérités clairvoyantes qui manquent tant à notre monde d'aujourd'hui. Plus que celui ou ceux qui ont précédé à travers l'histoire de l'Humanité.