Photo: Slimene SA. Neuf heures au marché de Rouiba. L'activité bat son plein. Ça crie de tous les côtés. Des hommes mais aussi beaucoup de femmes font leurs emplettes. «C'est toujours ainsi les vendredis. Nous recevons des légumes frais et les gens profitent pour sortir et voir. Même s'ils n'achètent pas, c'est comme la prière, ils respectent le rituel », nous dit en riant un marchand de volailles. Les magasins sont ouverts et les policiers ont fort à faire avec les embouteillages. Mais c'est tout de même le vendredi, les cars sont moins nombreux à circuler. « Pas nécessairement à cause du nouveau week-end », explique un receveur. « Beaucoup assurent des excursions à la mer où veulent se reposer. Comme apparemment le vendredi reste, selon la nouvelle loi, un jour totalement férié, ils profitent pour ne pas travailler », ajoute-t-il. La circulation vers Alger est fluide. La route moutonnière s'est dégagée. Rien d'étonnant. Les travailleurs des banques, de l'administration, les écoliers, les étudiants sont au repos, les nerfs sont moins agressés. Au marché Clauzel à Alger-Centre, il y a en cette fin de matinée autant sinon plus de monde. Sous la voûte du marché ou dehors, les acheteurs se pressent. Une femme rouspète contre les prix face à un vendeur impassible qui sert déjà d'autres clients. Aux alentours, on s'attarde autour des kiosques pour regarder les unes des journaux. « C'est la seule nouveauté », nous dit le propriétaire du kiosque. Nous recevons plus de titres mais y aura-t-il autant de clients l'après-midi ? ». VISAGE HABITUEL Passé midi, les derniers retardataires qui reviennent du marché accélèrent le pas. Les rideaux des magasins des boulevards Hassiba et Amirouche commencent à baisser. Une jeune femme qui tient un bébé devant l'immeuble Maurétania ne cache pas des signes d'impatience. Aucun taxi à l'horizon et ceux qui passent lui indiquent une direction opposée a celle où elle veut se rendre. « Et dire que beaucoup vont entendre de sermons sur les vertus du travail et de la rahma ».Quelques cafés restent encore ouverts mais bientôt ils vont fermer eux aussi. « Il y a encore quelque uns qui consentiraient à te servir un verre d'eau glacé, mais la plupart, même s'ils ne se rendent pas à la mosquée, baissent à moitié les rideaux ou font mine de nettoyer », déplore un étudiant qui a pris la précaution d'acheter une bouteille d'eau minérale. En remontant, vers 13 heures, le boulevard Mohamed V, vendredi ressemble encore à vendredi et Alger ne se dépare pas de son visage habituel. En groupes ou seuls, le tapis souvent en bandoulière, les croyants se dirigent vers les mosquées dont certaines diffusent déjà des versets à pleins décibels. Seules quelques voitures encore traversent le boulevard quasi désert. Le temps est à la prière. Dans un angle un commerçant vend tout de même du pain et plus loin une pharmacie reste ouverte. LE PLI EST PRIS À El Madania, la prière a pris fin et les premiers fidèles sortent à la queue leu leu de la mosquée. Avant de rentrer, certains rentrent dans le café de la placette où deux serveurs éprouvent de la peine à servir tout le monde. Les cafés et les Coca voltigent au dessus de têtes. En tendant l'oreille on se rend compte que beaucoup se félicitent que « l'on n'ait pas touché au vendredi. Ils peuvent même ériger lundi comme jour de repos, l'essentiel je suis quitte avec mon Dieu ». A Birmandreis, les rues s'animent déjà. Cela pourtant n'a rien à voir avec le jeudi après-midi où l'on se marche sur les pieds dans les rues. « Le pli a été pris depuis près d'un demi-siècle et beaucoup ignorent même qu'il fut un temps où les Algériens se reposaient samedi et dimanche sans que le ciel leur tombe sur la tête», estime ce chanteur. En allant vers Kouba, on a peine à reconnaître en cette route celle crainte par les automobilistes comme la peste le jeudi. Pas d'avancée pare-choc contre pare-choc. Près du stade Benomar, quelques vendeurs ont redéployé leurs marchandises. Les rues restent toutefois presque vides mais après la prière d'El Asr, elles recommencent à s'animer. Plus bas au lotissement Michel, la plupart des magasins ont rouvert. Des hommes sortent se promener avec leurs enfants et d'autres en famille passent davantage en voiture. Ils iront pour des visites familiales où peut- être prendront la direction des plages. « Il ne faut pas faire du vendredi une journée morte ou encore réduire ce jour-là ses efforts. Sitôt accomplie la prière, chacun doit revivre », explique à la cantonade un jeune devant le comptoir d'un café. La plupart acquiescent à son sermon. Retour par Ben Aknoun, El Biar et Bab Djedid. Pas de couvre-feu. Les magasins sont ouverts, mais on est loin de l'ambiance décontractée de début de week-end. Comment se peut-il sans les écoliers, les amoureux et ceux dont le seul souci n'est pas d'afficher leur foi débordante ? Ceux-là sont peut-être sur les plages profitant des derniers jours d'un été qui va bientôt finir. La librairie de la placette est ouverte et écoulent les derniers journaux qui ont bien marché. « Aujourd'hui les gens n'ayant rien d'autre à faire », dit le vendeur peu affairé avec une clientèle moins nombreuse. A la place des Martyrs, on ne se bouscule pas devant les bus. Celui qui démarre vers Bachdjarah peine à « ramasser » une quinzaine de personnes. A un homme qui s'inquiétait d'arriver à la gare routière en retard, un receveur de l'ETUSA montre rassurant. « C'est vendredi, on y sera dans dix minutes ». L'habitude est une seconde nature ? Les prochaines semaines vont peut-être démentir cet adage.