Le Ramadhan est un mois singulier pour les musulmans en général et les Algériens en particulier. Une particularité qui se décline sous différentes formes : spirituelle, sociale et comportementale. Dès l'apparition du croissant lunaire annonçant le mois, les gens changent de comportement. Les notions de jour et de nuit sont presque inversées. Doucement le jour et intensément la nuit, l'activité change d'horaires. Travail et marché le matin contre tarawih et kheïma le soir. «Toute la magie du mois sacré, je la ressens le soir pendant la prière de tarawih», atteste Mourad, la trentaine, approché à la sortie de la grande mosquée d'El Biar. «Je reconnais que je ne fréquente pas assidûment la mosquée, mais dès que le mois de Ramadhan arrive, je ne rate aucune prière de tarawih», explique-t-il. El tarawih est une prière quotidienne du soir exécutée pendant le mois sacré après la dernière prière du jour el isha. Sans être obligatoire pour les fidèles, elle fait partie de la tradition musulmane. Le principe étant d'accomplir le khetm (la lecture en entier) du saint Coran avant la fin du mois. Dans le rite malékite (majoritaire en Algérie), la prière se fait en huit rakaate (séquences de prière) exécutées par paire. A chaque rakaa, l'imam récite environ la moitié d'un hizb (le Coran est constitué de 60 hizbs). En tout, la prière dure approximativement une heure et demie.
Mosquée de Garidi, en attendant la prière Après le f'tour, repas de rupture du jeûne, les haut-parleurs de la mosquée de Garidi «I» vibrent sous la voix du cheikh qui dispense un ders (cours) aux fidèles. La spécificité du Ramadhan, les grâces du Coran, l'esprit de partage, la solidarité entre croyants, la zakat (aumône), et la vie du prophète Mohamed (QSSSL) sont les sujets les plus traités. Quelques croyants, occupés à lire le saint Coran déjà sur place avant l'arrivée du cheikh, reposent le livre sur des étagères prévues afin d'écouter le prêcheur. La mosquée de Garidi «I» est un bijou artistique. L'extérieur non encore fini est joliment décoré par une guirlande lumineuse spécialement installée pour les tarawihs. L'intérieur est simplement admirable. Des couleurs pastel, des versets du saint Coran et des motifs géométriques gravés dans le plâtre avec une dextérité impressionnante et une tapisserie flambant neuf apaisent l'esprit. La toiture de la mosquée est composée de quatre superbes voûtes gravées des noms des prestigieux compagnons du Prophète (QSSSL). Des deux côtés de la salle de prière centrale, surélevée, se trouvent deux mezzanines. Sur celle de gauche, une palissade en bois sculpté cache aux yeux des fidèles l'espace de prière réservé aux femmes. Et une autre sur la droite pour les hommes. Dehors, le flux de voitures est important. Par familles ou par groupes, les fidèles arrivent aux abords du lieu de culte, cherchant désespérément une petite place (ou grande selon le modèle du véhicule) pour se garer. Une situation incommodante quelquefois pour les riverains qui voient leurs véhicules bloqués par des automobilistes peu scrupuleux. A pied également, des femmes en hidjab strict ou improvisé, (l'essentiel est dans le foulard, semblent-elles exprimer), en groupes dispersés, se dirigent vers la mosquées. Bise par-ci, bonjour par–là, elles ne semblent pas pressées d'arriver. En chemin, elles croisent d'autres groupes de femmes se dirigeant dans le sens inverse, vers le centre de Kouba, pour effectuer une promenade nocturne calme avant la sortie des fidèles… encore des bousboussades et des salamaleks. Les hommes, plus éparpillés, s'ils n'accompagnent pas leurs familles, arrivent généralement seuls ou en duo. Pressant le pas, ils courraient presque pour avoir une bonne place dans la mosquée. «La bonne place», c'est être adossé au mur ou à l'un des nombreux piliers de la salle de prière.
Tarawih, une transe sereine et calme L'heure approche, le muezzin appelle les fidèles à la prière d'el isha. Les rangs se forment, et (une des exigences de la prière collective) les homme s'alignent parfaitement derrière l'imam. Après les quatre rakaate de l'isha, une courte pause, les lumières sont baissées, et la prière du tarawih commence. Les huit grandes portes en bois de la mosquée largement ouvertes, l'air frais qui pénètre, la faible lumière, la voix entraînée, sûre et le rythme régulier de la récitation du Saint livre font découvrir au corps et à l'âme du fidèle en prière, une sensation inégalable. Une sorte de transport en dehors du temps et de l'espace. Une transe sereine et calme. L'impression d'être épaulé par ses voisins de prière dans sa solitude mystique. Mis à part la voix de l'imam, le silence est parfait. Un silence quelquefois interrompu par l'éclat de voix ou les pleurs d'un enfant. Tantôt grave, douce, plaintive, suppliante ou menaçante, la voix du récitant s'adapte au sens du verset, faisant vivre pleinement le Coran aux fidèles avertis. Isha, shafaa et watre inclus, les fidèles auront exécuté en tout quinze rakaate. Plus d'une heure et demie, successivement debout, penchés ou prosternés. Tout le monde n'est pas logé à la même enseigne devant les tarawih. Il y a ceux qui peuvent tenir «la distance», ceux qui se donnent du répit de temps à autre et les derniers qui lâchent prise très rapidement. Rester debout pendant de longues minutes et presque deux heures durant n'est pas à la portée de tous. A la fin de la prière, les fidèles se dirigent rapidement vers les portes de sortie, provoquant un embouteillage important. Il est 22h et la nuit est encore longue.
Donner du sang, une autre bonne action Particularité des tarawih 2008, à la sortie des mosquées, des véhicules de récolte de sang sont stationnés. Encouragés par les imams dans les quartiers populaires particulièrement, les fidèles se dirigent vers ces centres de prise de sang ambulants. «Pendant le Ramadhan, toute bonne action vaut son pesant d'or. Elle est comptabilisée au centuple. Et qu'y a-t-il de plus noble que d'offrir un peu de son sang pour sauver une vie ?» se demande un quinquagénaire, exhibant fièrement son sparadrap sur l'avant-bras. «Les gens ont besoin d'être rassuré», témoigne un infirmier présent sur place. «Ils ont peur de se sentir mal après un don du sang. A nous de les rassurer quant au caractère inoffensif d'un tel geste. Il faut que les gens sachent qu'il n'y a aucun risque (pour les personnes saines) de donner de leur sang pendant le mois de Ramadhan. Particulièrement après le ftour. Aucune complication particulière n'en découle», poursuit-il. Selon notre interlocuteur, des équipes formées spécialement pour la tâche sont installées devant les mosquées les plus fréquentées afin de convaincre les fidèles d'offrir un peu de leurs globules rouges pour la bonne cause. Des psychologues font partie de ces groupes pour rassurer les donneurs et les mettre à leur aise.
De la mosquée à la kheïma A la sortie de la mosquée, l'ambiance est plus détendue et plus chaleureuse. Un sentiment du devoir accompli emplit l'air. Les familles se recomposent et les groupes de jeunes se forment. «Maintenant, direction la kheïma», lance un jeune à l'attention de ses compagnons. Notons que, cette année, ces copies de tentes bédouines installées aussi bien dans les grands hôtels que dans des endroits moins prestigieux attirent beaucoup de monde. En famille ou entre amis, on y va pour se détendre, boire du thé ou autre chose, s'amuser, danser et veiller jusqu'au petit matin. Intrigués par cette interpellation, on s'approche du jeune homme. «Je ne vois pas où est la contradiction ? J'ai jeûné, j'ai prié et j'ai le droit de m'amuser. L'islam n'est pas une religion de rabat-joie», nous rétorque-t-il, amusé. De leur côté, ses compagnons de prière et de kheïma acquiescent de la tête, le sourire aux lèvres. Embarqués dans une petite voiture de marque asiatique très répandue chez-nous, les cinq «post-adolescents» dans une exiguïté affligeante nous proposent en riant de faire partie du voyage. Retour à El Biar. A 22h, la sortie des tarawih ressemble à celle de Garidi. Les femmes sont nombreuses. Une dizaine de mètres plus loin de la mosquée, quelques voiles commencent à disparaître, laissant des chevelures abondantes prendre l'air du soir. «Je ne porte pas le voile d'habitude. C'est seulement par respect pour le lieu de culte que je l'ai mis. Je suis croyante, pratiquante, je ne raterais pour rien au monde la prière de tarawih en compagnie de mes parents et je ne suis pas voilée», explique une jeune femme, à l'aise dans sa peau, sans complexe, assumant pleinement sa trentaine passée, accompagnée de son père, de sa mère et de ses deux sœurs ; le frère, un adolescent farouche, la toise de loin. Nabila décide d'emmener le groupe pour manger des glaces en cette agréable soirée. L'état de cette famille n'est pas particulier. Traditionnelles, conservatrices ou modernes, elles sont nombreuses à se rendre à la mosquée pour la prière de tarawih et après profiter de la soirée dans des kheïmas respectables, sur des terrasses ou en déambulant simplement dans les rues. «C'est bientôt l'Aïd. La course contre la montre commence pour l'achat des vêtements pour les enfants, et ce qu'il faut pour la préparation de la pâtisserie orientale indispensable à cette occasion», explique une jeune mère de famille sous le regard suspicieux de celle qui semble être sa belle-mère. D'autres groupes de jeunes filles, seules ou accompagnées de leurs parents, papillonnent d'un magasin à l'autre et du pâtissier au glacier. «C'est devenu impossible de rouler à El Biar», s'alarme le jeune Mourad. «A 1h ou 2h du matin, la circulation est toujours aussi intense. Je voulais me rendre chez un ami à Kouba, avant de démarrer ma voiture et en voyant l'encombrement, je me suis vite ravisé. Il faut plus d'une demi-heure pour sortir d'ici. Ça ne vaut pas la peine de se déplacer», ajoute-t-il, découragé.