«Celui qui ne pourra pas acheter peut prendre gratuitement. B'sahtou ! L'essentiel est que les Algériens soient heureux» Premiers de leur groupe avec trois points d'avance sur le dauphin qui n'est autre que le double champion d'Afrique, l'Egypte en l'occurrence, les protégés de Saâdane brillent de mille feux. Le business aussi. Cette réussite a poussé les supporters à se ruer vers les vendeurs de CD et autres produits dérivés de cette EN qui gagne. Tout y passe ! Les maillots, survêtements ou autres fanions qu'on arbore fièrement en guise de soutien, mais aussi d'amour pour la sélection. Pour savoir ce qu'il y a sur le marché, nous avons jugé utile d'effectuer une balade à Bab El Oued, l'un des fiefs des Verts, pour sentir de près cette ferveur, mais aussi cette ambiance bouillonnante, à quatre jours du grand rendez-vous que tout un peuple attend, pour la simple raison que c'est à son issue qu'une des deux nations décrochera un billet pour le prochain Mondial, le premier sur le continent africain, une nation qui pourra bien être la nôtre, l'Algérie. C'était un dimanche. Un jour peu ordinaire, rythmé par les nouvelles de nos pros qui nous viennent du lointain front de Florence. Un jour où tous, ou presque, salivent sur cette équipe nationale qui entame son stage de préparation en Italie. Un dimanche grisonnant, un peu frisquet pour la période. Une journée d'automne au ciel nuageux, somme toute banale de façade, mais chaude à l'intérieur. Et ce n'est pas les quelques averses tombées sur la capitale qui allaient adoucir l'intensité de la ferveur qui s'est emparée des Algériens depuis que l'EN s'est mise à rêver de l'Afrique du Sud. Ceci ne nous a pas empêchés d'aller à la rencontre de ces vendeurs pas comme les autres. Des jeunes à la double casquette. Une sorte de businessmen supporters ! «Ce sont les femmes qui achètent le plus» Il était dix heures passées lorsque nous sommes arrivés à notre destination. La rue grouillait déjà de monde. Sur le grand boulevard, un barnum, en guise de disquaire, fait l'angle. Nous nous sommes invités chez lui. Un homme, la quarantaine, somnolait derrière le comptoir. C'est le vendeur ! Notre apparition l'a fait extraire de sa bulle. Sympathique, il n'a pas hésité à répondre à se rendre disponible, même lorsque nous lui avions fait part de l'objet de notre présence. Bien qu'entrecoupé par les sollicitations de ses clients, le disquaire n'était pas avare en détails. Il nous aurait fait l'inventaire, si besoin est, tant sa disponibilité a éveillé en nous une certaine gène soigneusement dissimulée sous un sourire timidement étiré. La première question fut simple : combien d'albums dédiés à l'EN avait-il sur ses étals soigneusement rangés ? «J'en ai six, dont deux nouveaux. La demande est importante. Ceux qui achètent ne sont pas forcément des jeunes garçons. Il y a aussi des jeunes filles, des hommes et des femmes», répond-il avant d'ajouter : «A l'approche du grand rendez-vous, on reçoit de la clientèle. C'est vrai qu'on vend pas mal, mais nous ne sommes pas les seuls. Il y a ceux qui piratent et vendent les produits à bas prix.» «On ne croit pas aux blessures de nos joueurs, et les Egyptiens nous dégoûtent» Sorti de chez le disquaire, un autre pointait déjà son nez à vue d'œil. Cette fois, il n'y avait pas un seul vendeur, mais deux. Les affaires marchent bien ! Du moins d'apparence. L'intérieur respirait le foot à plein nez ! Preuve en est, l'un des deux avait les yeux braqués sur son téléviseur et le match Atlanta Bergame-Juventus (victoire des Bianconerri 2-5, ndlr), tandis que le second trillait les nouveaux albums qu'il venait apparemment de réceptionner et qu'il rangeait soigneusement dans les étals qui leur sont consacrés. Chez eux, les Verts sont en vogue. Pas moins de quatorze tubes, tous dédiés à la gloire de l'EN, sont proposés. Nos questions un peu indiscrètes les ont quelque peu contrariés, autant le dire. Peut-être soupçonnaient-ils des contrôleurs, mais il reste que leur ton a baissé littéralement lorsque nous avions montré patte blanche et décliné notre identité. «Le prix varie entre 100 et 130 DA. Cela dépend du chanteur, en fait. A Chacun son goût. Il y a de l'engouement. Les supporters achètent sans préférence, j'espère de tout mon cœur qu'ils ne vont pas être déçus le 14.» Interrogés si, côté ventes, ça marche bien pour eux, ils nous ont répondu que ça a dépassé leurs espérances. Une manière de dire que le chiffre d'affaires a doublé voire triplé. Tant mieux ! Ça veut dire aussi que… les Verts carburent, et les ventes aussi. Concernant les blessures des Verts, l'un d'eux nous a révélé : «Personnellement, je ne crois pas à ces histoires. C'est juste pour brouiller les pistes des Egyptiens. Ces derniers nous dégoûtent avec leurs débats sur leurs chaînes TV.» «Celui qui ne pourra pas acheter peut prendre gratuitement. B'sahtou ! L'essentiel est que les Algériens soient heureux» 11h40 : Au Trois-Horloges, non loin du marché, la rue grouille de monde. Les gens se croisent et se recroisent, au point de se perdre au beau milieu de cette cohue. Tout y est ! Fruits et légumes, viandes ou puces téléphoniques. Au marché de Bab El Oued, il y a de tout. Et ce n'est certainement pas les mordus des Verts qui risquent de rester sur leur faim. Tiens, tiens ! En voici une table installée à la va-vite qui propose des articles de sport justement, à l'entrée du marché. Elle était bien garnie comme babioles ! On pouvait trouver tout ce que les supporters demandent. Trois, c'est le nombre de personne qui veillaient à ce que les clients ne manquent de rien. N'ayant pas voulu s'exprimer à la presse, ils ont vite changé d'avis lorsqu'ils ont su que nous sommes des journalistes du Buteur et d'El Heddaf. «Il n'y a pas de souci, prenez des photos autant que vous le voulez», nous lançait Khaled, la vingtaine, l'un des vendeurs. Et d'enchaîner : «Que voulez- vous savoir ? Nous avons plusieurs sortes de maillot, des survêtements, mais aussi des petits drapeaux, des serre poignets très en vogue chez les joueurs, à l'image de Bougherra, Yahia et Halliche. Nous avons aussi des chapeaux ainsi que beaucoup d'autres choses.» Ayant voulu savoir ce que les acheteurs demandent le plus, il nous a confié que les maillots sont en tête de liste des ventes. «Ils coûtent entre 600 et 1200 DA. Ça dépend en fait de la qualité du produit. Il y a ceux qui peuvent se permettre le haut de gamme et ceux qui se contentent du moins cher. Ici, on comprend les gens. On est issus d'un quartier tout proche, on sait qu'il y a ceux qui ne peuvent pas débourser une telle somme pour un maillot, mais s'ils se présentent, on ne va pas les en priver. Ils peuvent prendre gratuitement, B'sahthoum ! L'Algérie, c'est sacré quand même. Donc, nous sommes prêts à consentir certains sacrifices.» Il ajoutera que malgré le fait qu'ils ne vendent pas des produits illicites, les policiers n'hésitent pas à leur saisir leur marchandise, même s'ils ne font rien de mal. «Ma fille me demande toujours de lui acheter un drapeau et un maillot pour l'Aïd !» A Bab El Oued, comme un peu partout, les étals poussent comme des champignons. Un peu plus loin, à la sortie du marché, nous avons trouvé une autre, juste devant un vieil atelier de réparation d'articles électroménagers. Ils venaient à peine d'étaler leur marchandise. Le vendeur s'affairait à «remplir» sa table et répondre en même temps à nos questions. Cinq minutes plus tard, une femme se présente. Une dame, la trentaine à peu près. Elle n'avait pas eu du mal à trouver ce qu'elle cherchait, un survêtement. Avant qu'elle parte, nous en avons profité pour lui demander si elle est une amatrice de foot. Elle acquiesce tout de go. «De l'EN surtout ! Croyez-moi, j'ai suivi le dernier match sur les nerfs. A un certain moment, j'avais craint pour ma santé. Ma tension artérielle a atteint 15,9. D'ailleurs face à l'Egypte, je ne verrai pas le match. C'est dur, mais nous allons gagner. Un but à zéro. Nous allons les battre chez eux !», s'enthousiasmait-elle. Si seulement ça pouvait être aussi simple que ses paroles d'une simplicité certaine, pleines d'espoir et d'innocence à la fois. Oui ! C'est aussi ça l'Algérien. Toujours fière. Elle était si confiante. «Ceci, c'est pour ma fille, Maria, qui a huit ans. Chaque fois, avant de partir au travail, elle s'accroche à moi tout en me suppliant de lui acheter un drapeau ou un maillot. Figurez-vous qu'elle veut un maillot de l'équipe nationale pour l'Aïd.» Un homme viendra acheter un serre poignet pour son fils. «Il me demande toujours de lui en acheter, et je suis contraint de le faire», nous a répondu non sans un large sourire aux lèvres. «Tout ce qu'il y a sur le marché, c'est made in Algeria» Durant notre virée à Bab El Oued, nous avons remarqué qu'ils y avaient plusieurs sortes de maillots. Les supporters ont l'embarras du choix. Concernant le lieu de fabrication, le jeune vendeur nous a confié que «tout ce qu'il y a sur le marché est de confection locale.» Concernant ses ventes, il dira : «Personnellement, je vends presque 30 maillots par jour.» Avant d'enchaîner : «Même les émigrés prennent avec eux beaucoup de maillots pour leurs familles et amis.» Tout se vend, même la Coupe du monde ! En plus des maillots, des survêtements et des drapeaux, nous avons été surpris de trouver une réplique de la Coupe du monde, le plus prestigieux trophée de la FIFA en vente, sur le marché. Elle devait peser plusieurs kilos. «Il y a deux genres : la petite réplique qui coûte 600, tandis que la plus grande 1200 DA.» Pour l'instant, personne ne s'est intéressé, mais en cas de qualification le 14, il y a de fortes chances qu'on se l'arrache. «A chaque fois que j'entends les CD de l'EN, je pleure» Avant de rentrer, nous avons croisé une vieille. L'amour des Verts n'a pas d'âge. De 7 à 77 ans, les Verts font chavirer bien des cœurs ! C'est le cas de cette vieille dame venue spécialement acheter un drapeau. «J'ai fait la guerre de Libération», avertissait-elle, comme pour ne pas mettre en doute son patriotisme et son amour pour l'équipe nationale, elle, la vieille, qui devrait à son âge avoir d'autres chats à fouetter, diront certains. «Je pleure à chaque fois que j'entends les chansons produites spécialement à la gloire de l'EN.» Emouvant, en effet, son témoignage d'une rare candide. Les Algériens n'hésitent pas à acheter tout ce qui possède un lien avec l'équipe nationale. Tous optimistes. Il n'y a pas de place au doute. Surtout chez ces businessmen supporters, gagnants quel que soit le résultat du 14 novembre au soir ! Adel Cheraki