Photo : Makine F. La notion de voisinage semble avoir perdu de son aura par ces temps de médiocrité où l'égoïsme passe avant toute autre considération. Tout porte à croire, en effet, que l'ère du bon voisinage est révolue, du temps où les portes étaient grandes ouvertes de jour comme de nuit, cédant la place à l'individualisme. Ainsi, on ne doit pas s'étonner qu'une bagarre éclate entre voisins pour une banale fuite d'eau, une rixe entre enfants ou autres futilités. Et dire que le voisin était, jadis, le meilleur garant d'un tissu social compact et soudé. Il était le premier à compatir à une douleur ou à partager une joie. «N'ayez pas de voisins si vous voulez vivre en paix avec eux» disait le romancier et journaliste français Alphonse Karr. Que dire alors de nos quartiers populaires, des gens et de tous les problèmes de voisinage qu'on rencontre. Malheureusement, ces problèmes sont nombreux, quelquefois des familles ne se parlent pas durant des années pour une banale histoire de fuites d'eau, parfois une simple querelle peut se transformer en une bagarre générale. Pis, il n'est pas rare de croiser des voisins au tribunal pour régler leur différend. Autrefois, à l'époque coloniale, lorsque la majorité des Algériens vivaient dans la misère, dans les quartiers «arabes» de la ville, on raconte que les portes étaient grandes ouvertes jour et nuit, on se dépannait et s'entraidait réciproquement, on dormait chez son voisin d'en face, du dessous ou du haut dès qu'on en a envie, bref, on savait partager les choses. Aujourd'hui, cette époque est déjà à mettre dans les regrets nostalgiques. Les mentalités ont nettement changé, le décor aussi. Entre l'Algérien et son voisin ça ne se passe toujours pas bien. «Oh ! Que dire, avant c'était la joie dans le quartier, on était très proche, nous étions enfants et nous connaissions toutes les maisons, pièce par pièce. Je me souviens de mon quartier (Belouizdad) pourtant pauvre à l'époque coloniale mais nous avions tellement vécu de choses avec nos voisins, même avec les européens, ils nous respectaient et ne nous craignaient pas. Depuis, tout a disparu avec le temps, je ne sais pas pourquoi mais de nos jours on ne fait plus confiance à son voisin» regrette Ami Kamel qui habite toujours la même «Houma» qui l'a vu grandir. Regrettable situation qui, disons-le franchement, touche l'ensemble des quartiers et des ruelles de la ville du vieux rocher. Dans certains endroits c'est pire, dans d'autres c'est plus calme. On a alors commencé par chercher un quartier où le voisinage continue d'avoir un sens pour ses habitants. A la rue Abane Ramdane, dans un immeuble superbement entretenu, nous avons croisé des personnes, petits et grands qui avouent que le respect entre eux est mutuel, et ce depuis des décennies. Changement de décor, dans une nouvelle cité à Ali Mendjeli, déjà réputée par ses délinquants, un retraité a décidé de garnir un espace abandonné avec fleurs et plantes, un très joli square a vu le jour grâce à lui : «Depuis que je m'occupe du petit jardin, les gens de la cité ont fini par m'aider et même à entreprendre des conduites similaires. Maintenant, ils veulent créer un petit espace de jeu pour les enfants, c'est un début mais je crois que les choses commencent à s'améliorer. La cité n'existe que depuis 5 ans et on commence tout juste à se connaître et c'est en bonne voie. Par exemple : les jeunes me disent bonjour alors qu'ils ne le faisaient pas il y a quelques mois, les femmes commencent à s'entendre entre elles, on a même assisté un jeune du quartier lors de son mariage». Des gestes et des paroles simples suffisent pourtant à entamer et à préserver des relations durables entre voisins. Mais ce n'est pas évident qu'une telle ambiance se ressent dans les quatre coins de la ville. Dans les quartiers populaires par exemple, l'idée du voisinage se traduit souvent chez les jeunes par l'appartenance à une bande ! Chez d'autres, le terme voisinage est source de problèmes. «Nous sommes en conflit depuis deux ans. L'histoire a commencé à cause d'un problème de canalisations des toilettes. Nous avons demandé à nos voisins du dessus de réparer leurs conduites mais rien n'y fait, jusqu'au jour où notre maison fut inondée par leur saleté. Je me suis violement emporté avec le père, ses deux fils sont intervenus, c'était une bagarre générale même les femmes se sont battues, et heureusement que des voisins sont intervenus pour nous calmer. On ne leur parle plus et je pense que ça va encore durer longtemps, car comme nous, ils ne sont pas prêts à pardonner» nous explique un père de famille qui habite à Ali Mendjeli. BATAILLE ENTRE GANGS ET ÉTUDIANTS La cohabitation dans les cités universitaires et les quartiers populaires de Constantine n'a jamais été cordiale, souvent des batailles rangées, parfois avec armes blanches, finissent par une aléatoire entente entre les deux antagonistes. Le dernier incident en date remonte au mois de décembre dernier lorsque des étudiants de la cité Zouaghi, pour protester contre la direction, ont fermé l'important axe routier entre Ain El Bey et le centre ville. Après deux jours, les riverains mécontents n'ont pas trouvé mieux que de s'attaquer aux étudiants qui, heureusement, se sont réfugiés à l'intérieur de leur cité. Ce genre d'incident est très fréquent à Constantine, chaque mouvement protestataire de la part des étudiants est accompagné par une riposte des gens qui habitent les alentours. Abdelkader qui travaille dans une organisation estudiantine nous confie que des bandes de voyous rodent souvent devant sa cité, à Zouaghi 1, non seulement ils agressent les étudiants mais en plus ils cherchent la confrontation : «Chaque année on enregistre plusieurs agressions sur les étudiants commises par les habitants de la cité qui nous fait face. Il est impossible de dialoguer avec ces personnes, ils sont violents et c'est pourquoi nous évitons d'entrer en conflit avec eux». La notion de voisinage à Constantine a perdu beaucoup de sa valeur, les problèmes entre voisins, entre membres d'une même famille aussi, se sont banalisés ces dernières années à tel point que même les enfants imitent les adultes. Ce qui est encore plus grave, c'est que dans certaines cités nouvellement bâties, les voisins rompent leur relation au bout de quelques semaines de cohabitation et souvent pour des histoires futiles.