« Un maître sans guide ressemble à une ruche vide; même s'il accumule les connaissances, il demeure dépourvu de principes et de règles » dit le poète Cheikh El Djilali, dans sa célèbre qacida ‘'Ya dif Ellah,'' reprise en boucle par tous les interprètes. Qu'ils sont drôles parfois les thuriféraires autoproclamés de la chanson châabi, passés maîtres, il faut bien s'en étonner- et s'indigner surtout- dans l'art de décréter ce qui est bon et ce qui ne l'est pas, à propos d'une musique dont ils n'ont fait jusqu'ici, sans qu'ils ne soucient le moins du monde, qu'accélérer la déchéance. Mettant en danger un patrimoine vieux comme le monde, duquel pourtant ont émergé des artistes de renom si l'on prend l'exemple phare El Hadj M'Hamed El Anka. L'homme par qui le Chaâbi a pris ses couleurs, sa structure actuelle et toute sa rigueur. Ecumant, on ne sait comment, ni sur quelle base d'ailleurs, radios, télés ou journaux, parfois même les institutions culturelles du pays, passant leur plus clair de leur simulacre de consulting, à déverser leur fioul sur celui-ci, ou portant celui-là, aux cimes d'une notoriété fantoche, qu'ils tentent- en vain, et c'est tant mieux- de nous faire avaler, telle une grosse, une très grosse couleuvre, qui ne passera jamais. A travers une louable initiative, la maison de la Culture de Tizi-Ouzou, Mouloud-Mammeri, rend un vibrant hommage au regretté El Hachemi Guerouabi. Un maitre incontestable, incontesté, ou tous ce que vous voulez, qui a marqué de sa voix unique, et grâce sa maîtrise parfaite, la chanson Chaâbi, voire toute la culture algérienne qui n'a cessé, tout au long de son magistral parcours, de hisser aux summums la renommée mondiale. Mais il faut bien admettre qu'au-delà des remémorations, aussi importantes soient-elles, la chanson Chaâbi vit un marasme tel qu'on s'interroge volontiers sur les discours emphatiques, saturant la scène et les médias, mettant en avant- en arrière, c'est plus juste- une prétendue renaissance à laquelle ne croirait au surplus, le plus niais des mélomanes. Croire en l'utilité de ce bric-à-brac de concerts musicaux, de festivals- à l'exception peut-être du Festival national de la chanson Chaâbi, qui s'y emploie avec une certaine rigueur- ou d'on ne sait quoi encore, dont l'unique et le seul souci reste la Reine Rente. Le résultat ne peut être que médiocre, pour ne pas dire, qu'il constitue un échec sans appel de nombreux apprentis «Chouyoukh » aux manettes, qui ont mis sous leur joug, les destinées de ce patrimoine si cher à ses mélomanes. A tous les Algériens. La preuve est là, plus que jamais patente : Les derniers Mohicans de l'âge d'or, notre pensée va droit à Guerouabi, à Rachid Nouni, à Omar Mekraza et d'autres illustres noms ne font plus partie de notre univers. Ils s'éclipsent à mesure que dame nature impose ses règles fatales. Si les Amar Ezzahi, Boudjemaâ El Ankis, Amar Lachab, Hassen Saïd, vieux et patraques ne sont plus en mesure d'honorer l'instrument, ni même la voix, si l'on s'entête à mettre sur le gril de talentueux interprètes tel Abdallah Guettaf, Cheikh El Yamine…qu'a-t-on de grâce comme substituts à ces vieux loups qui, tout chacun, a apporté une précieuse pierre à ce grand édifice poétique et musical génialement échafaudé par le Cardinal (El Anka) ? Autres temps, autres mœurs, décrète sans fard le dicton. Il est va de soi que la santé de tout art, demeure étroitement liée à son environnement immédiat. L'ère d'El Anka, d'El Hadj Merizek, de Khlifa Belkacem…n'a pu voir le jour sans l'existence d'une volonté toute aussi politique que populaire, disposant cette musique de tous ce dont elle a besoin pour son épanouissement, comme institutions et événements. Prenons l'exemple du Conservatoire d'Alger. Une prestigieuse école qui a vu naitre et passer les plus grands maîtres du Chaabi qu'on s'abstiendrait de citer, tellement ils sont indéboulonnables de notre mémoire collective. Une savante institution mais qui de nos jours, mille fois hélas, à peine tient-elle dignement sa vocation première qu'est celle de donner jour à ces centaines de jeunes, tout aussi brillants les uns et les autres. Pris en otage dans les méandres d'une gestion « bureaucrato-chaotique », il ne faut pas trop miser sur cette feue illustre école que l'indifférence publique, aggravée par la bêtise de ses hommes, en a réduite à une froide administration musicale dont la mission est tout sauf la formation. Quel drame !