L'Egypte tient mordicus à son monopole sur le Nil. Elle refuse, globalement et dans le détail, tout nouveau plan de partage des eaux du Nil, un fleuve dont elle exploite 55,5 milliards de mètres cubes par an, soit un plus de la moitié du débit, depuis l'accord conclu en 1959 avec la Grande-Bretagne au nom de ses colonies d'Afrique de l'Est. «L'Egypte se réserve le droit de prendre toutes les mesures pour défendre ses droits historiques sur les eaux du Nil», affirme devant le Parlement, Mohamed Nasr Eddine Allam, le ministre de l'Eau et de l'Irrigation. Décodée, cette précision qui pourrait être comprise comme une menace, signifie que ce «partage des eaux» est une «question de sécurité nationale». Elle prend quasiment valeur d'avertissement à tout pays qui serait tenté de prendre une initiative unilatérale après l'échec de la réunion de quatorze heures du 13 avril à Charm el-Cheïkh, des dix pays riverains du plus grand fleuve du monde, après l'Amazone. Le Soudan (18,5 milliards m3) et l'Egypte, les deux pays de l'aval, n'ont pas pu s'entendre mardi dernier avec les autres membres de «l'Initiative du bassin du Nil» (Ethiopie, Tanzanie, Ouganda, Kenya, République démocratique du Congo, Burundi, Erythrée, Rwanda) qui contestent les anachroniques traités de 1929 et de 1959 auxquels l'Egypte s'agrippe et réclament un partage plus équitable des eaux du fleuve. Outre ce «rejet» qui irrite ses partenaires, Le Caire exige un droit de veto sur tout nouveau projet d'irrigation dans le haut Nil et l'application du principe d'unanimité dans les prises de décision. Peine perdue. Le Burundi, le Congo, le Kenya, le Rwanda, la Tanzanie, l'Ouganda et l'Ethiopie qui vient d'annoncer des projets de construction d'installations hydroélectriques sur le Nil Bleu avec l'aide des Israéliens, menacent de procéder à la signature d'un accord sur un nouveau partage des eaux du Nil si un compromis n'est pas trouvé rapidement. «Même si l'Egypte et le Soudan refusent d'y adhérer», préviennent-ils. Vers un arbitrage international ? «Niet», répondent les Egyptiens. «Nous disposons de cartes diplomatiques, juridiques et beaucoup d'autres moyens pour faire valoir notre droit. Et nous ferons tout ce qui est en notre pourvoir pour défendre nos intérêts et notre sécurité nationale», déclare Hani Raslan, du Centre des études stratégiques d'Al-Ahram. Selon lui, «les pays de l'amont disposent de pluies abondantes qui leur suffisent amplement et ne devraient pas reprocher à l'Egypte dont le fleuve représente 95% des ressources hydrauliques, son monopole sur le Nil». Autre argument avancé : le poids démographique : 80 millions d'habitants dont 47% boivent des eaux, selon un rapport de décembre 2009 de l'Organisation égyptienne des droits de l'Homme. Les Egyptiens affirment qu'en maintenant le quota (55,5 milliards de mètres cubes), la part par tête passera de 1213 mètres cubes en 1990 à 630 mètres cubes en 2025. Un autre round de négociations entre les «dix» est prévu le 6 juin 2010 à Addis-Abeba. L'Egypte et l'Ethiopie, qui ont vécu un conflit armé lié à l'eau au XVIIIe siècle, vont-elles s'entendre ? «L'eau est le seul mobile qui pourrait conduire l'Egypte à entrer de nouveau en guerre», disait en 1979 le président Sadate sur la lancée de Boutros Ghali qui disait que la prochaine guerre que livrera son pays se déroulera dans les eaux du Nil.