• « Jean–El Mouhoub Amrouche », Journal 1928-1962, Editions Alpha, 442 pages, prix public : 1200 DA. Trente-quatre années de pensées, de concepts et d'aperçus que Jean -El Mouhoub Amrouche a transcrits au fil des jours et de ses humeurs. Trois décennies d'un carnet intime, aujourd'hui publié faisant découvrir au lecteur que ce grand homme était un écorché. Vulnérable et fragile .Différentes phases d'une vie riche en évènements littéraires, politiques et artistiques, certes, mais on a devant soi un Jean El Mouhoub Amrouche déchiré dans son âme. Dans un premier temps, les confessions de cet intellectuel, homme de radio, universitaire, animateur de revue, mettent en exergue le rapport spirituel qu'il entretient avec la religion catholique. Il y a l'être pieux et impuissant, croit-il, à se réaliser intérieurement parce que ne pouvant se défaire des péchés terrestres. Il le dit, le confie. Une attitude repentante jusqu'à l'humilité. Jusqu'à l'obsession. En un mot, il recherche la mortification pour se tourner vers Dieu comme le veut la tradition chrétienne. . Puis vient, dans un deuxième temps, apparaît cette crainte de ne pouvoir se réaliser intellectuellement. Le blocage de l'écriture revient tout au long des aveux que l'auteur met sur le compte de la paresse. Cette incapacité à se réaliser dans l'écriture, à percer comme « Camus ou Jules Roy », le tourmente et le plonge dans un « océan de contractions ». Une fois de plus, il est l'écorché vif dans son âme et sa chair. Les aveux, les opinions, les jugements qu'il consigne par écrit, se rapportent toujours à une sévère autocritique. Au fil des pages, des dates, des rencontres et autres évènements, on peut entendre la voix de Amrouche, dire le solitaire qu'il était dans ses croyances et ses attentes. Le fait est que la brisure que Jean-El Mouhoub Amrouche supportait en silence, qui était en lui, n'était que l'expression du tourment profond d'une double appartenance .La réalisation de son être, de sa personne, de son moi sont liés intimement à ce double parcours de son existence, amarrée à ses origines. «Algérien, Kabyle… je me sentais le témoin de la Kabylie et comme tel responsable de sa figure…de sa vérité, de ses misères et de sa gloire. Français, je me sentais le devoir de travailler inlassablement à l'être et à le paraître, avec plus de perfection et de rigueur que quiconque… » Il confiera également : « Le sentiment de mon destin représentatif pèse sur moi, sans toutefois m'accabler. Il est étrange que…cette situation particulière me porte à la modestie un peu écrasée… » Ce sont des mots repères sur cette double culture qui lui fait obstacle dans cette France des années trente, où il n'arrive pas à trouver sa place en tant que Français. Puis vient le temps où cette double appartenance lui vaut de se réapproprier son identité africaine, maghrébine et algérienne. 1954, la guerre de libération est là. Amrouche s'investit aux côtés de ses frères de sang, sans renier ses frères en religion .Il le dit. Le redit. Il s'engagera pour l'indépendance de l'Algérie et sera un interlocuteur auprès des membres du FLN et leur porte parole. Cela lui vaudra une lettre cinglante de sa belle-famille et un désaccord avec celle-ci. Pas seulement, puisque nombre de personnes le renieront pour avoir été « anticolonialiste » et trahi la France. L'éveil politique, la prise de conscience contre une France coloniale, Jean –El Mouhoub Amrouche le ressentira lors des tragiques évènements du 8 mai 45 : « Ce serait le moment de faire entendre ma voix sur la question coloniale… » Écrit-il. Il la fera entendre à travers des articles et des émissions radios .Et encore dans ses lettres au Général De Gaule. Amrouche l'incompris, le mal aimé, « l'étranger » des deux rives, le tolérant incontestable, portera en lui sa double culture, algérienne et française .Sa double blessure. Jusqu'à sa mort .Un certain mois d'avril 1962 .Trois mois avant le 5 juillet 1962.