Résumé de la 2e partie n La journaliste Mary Boney se rend dans l'Atlantique pour un reportage sur les habitants de l'île de Sable, et surtout découvrir le colosse. «Je voudrais bien le savoir», répond Mary Boney dans un souffle. La journaliste paraît d'autant plus minuscule que ce David, alias King-Kong, est immense. Il est chauve, elle a une longue chevelure noire. Il a des yeux délavés, les siens sont d'un brun sombre. On voit les muscles de King-Kong rouler sous l'épaisseur d'un énorme pull-over comme si c'était une simple soie, alors que Mary Boney disparaît presque complètement dans le harnachement de bottes, de velours à grandes côtes, de laine et de fourrure dont elle s'est affublée. Malgré cela, elle est d'autant plus séduisante que King-Kong est laid... Tout le monde s'amuse de voir le colosse soulever Mary comme une poupée pour la placer dans le chariot. La petite troupe se met en route sur une piste tracée dans les dunes, à peine assez large pour l'attelage de poneys à demi-apprivoisés. Pas un arbre, pas un buisson ; l'île de Sable, sous la morsure du vent, se débat et se tord comme un immense animal marin. Ici, une simple ondulation est devenue un tas de sable de trente mètres qui continue de grandir. Ailleurs, la tempête en efface d'autres. Les habitants voient disparaître les dunes sans arrêt, parfois brusquement, laissant la mer s'avancer dans l'île comme si elle allait la couper en deux. L'île était longue de cent trente kilomètres à sa découverte. Depuis, elle n'a cessé de s'allonger ou de se rétrécir. Cinq fois, il a fallu déplacer le phare principal et la dernière fois, l'évacuer en quelques heures en pleine tempête. Aujourd'hui, il y a trois kilomètres d'eau là où s'élevait le village. «Les bancs de sable, explique le surintendant, se déplacent lentement vers l'est. Beaucoup de gens pensent qu'un jour l'île atteindra l'extrémité du socle des bancs et disparaîtra sous la mer...» Enfin la petite caravane arrive à la maison spécialement construite pour héberger les naufragés. Mary Boney et son photographe y séjourneront pendant le week-end. Le pilote reviendra les chercher. King-Kong marche à côté de la charrette, près de Mary. Elle regarde son énorme main posée sur la ridelle. Cette main a-t-elle tué le juge et sa femme ? C'est la pensée qui l'obsède. A côté de la maison des naufragés se trouvent l'abri du canot de sauvetage et un poste de lance-fusées. Mais la plupart des naufrages surviennent à l'extrémité orientale, où sont éparpillés d'autres canots avec des refuges, des vivres et du combustible. Une fois dans la maison, Mary Boney et le photographe prennent une douche chaude et boivent du café. Vers dix heures, les rafales font traîner sur l'île les lambeaux d'un appel : une cloche, héritée d'une épave quelconque, appelle les habitants au service divin. Il est vrai que c'est dimanche. En plein air, à l'abri d'une palissade de bois où le sable crépite, voici Mary Boney debout au milieu des paroissiens de l'île, non loin de King-Kong qui les dépasse tous d'une tête. Elle sent qu'il ne la quitte pas des yeux. Le surintendant, qui célèbre l'office, monte sur un vieux cabestan pour lire un extrait de la Bible. On doit tendre l'oreille pour l'entendre, à travers le fracas des vagues, le cri des oiseaux marins et le sifflement du vent… Mary Boney a croisé un instant le regard de King-Kong. Celui-ci, imperceptiblement, se rapproche. Les yeux noirs et brillants de Mary, qu'il n'est pourtant pas facile d'étonner, regardent avec saisissement l'univers étrange qui l'entoure. L'île est littéralement hérissée de membrures de navires perdus... D'un cimetière minuscule émergent à peine quelques croix. Le sable envahit tout, recouvre même les tombes. Du côté du vent dominant, la palissade qui protège les fidèles, est déjà à demi-enfouie dans le sable accumulé. «Ici…» C'est King-Kong qui parle d'une voix incroyablement grave, rauque, si basse qu'elle est à peine perceptible : «Ici, dit-il, tout ce qui vit meurt deux fois...» En entendant cette voix près d'elle, Mary Boney ressent comme un choc au creux de l'estomac. (à suivre...)