Particularité n Une halte dans un petit estaminet du Hodna, appelé El-Djour, s'impose depuis une année aux voyageurs qui empruntent la route reliant la daïra de Djebel Messaâd à la RN46. El-Djour, c'est aussi le nom d'une forêt située en contrebas de Djebel Messaâd, à 120 km de M'sila, où des plantes telles que le genévrier de Phénicie (aâraâr) et le romarin se disputent un tapis sur lequel des pins d'Alep se dressent aussi. El-Djour, c'est encore et surtout l'appellation d'une boisson qui attire de plus en plus d'adeptes venant de contrées voisines. Ceux-ci n'hésitent pas à faire des kilomètres pour siroter quelques verres d'El-Djour à l'ombre des pins d'Alep. Une habitude désormais ancrée même chez certains voyageurs qui s'arrêtent pour déguster ce breuvage devant lequel le thé, boisson reine du Hodna, semble s'incliner. El-Djour, ce nectar dont la couleur rappelle le sirop de grenadine et que l'on sert chaud, est même parvenu à détrôner le fameux café de la Djezoua, conduisant le propriétaire du «caboulot» à en faire la tête d'affiche de son menu. Mais la «formule» d'El-djour et ses secrets de fabrication sont jalousement gardés par le maître de céans. Aucun stratagème, aussi élaboré soit-il, ne lui fera «cracher le morceau». De nombreux clients s'y sont pourtant essayés comme ce jeune homme qui, s'adressant au propriétaire du café, a prétendu qu'El-Djour a une «saveur bien corsée qui évoque le cassis», ou cet autre qui a estimé que cela doit être du aâraâr. Un autre encore a promené le liquide rougeâtre dans sa bouche fermée, avalé puis claqué la langue avant de décréter : «Aâraâr, oui, mais avec je ne sais quoi de plus corsé.» Au café El-Djour, les discussions tournent exclusivement autour de la composition de ce breuvage. Mais ni les questions directes, encore moins les «pièges» n'arrivent à ébranler le détenteur du «secret» qui, pour toute réponse, proclame qu'il s'agit d'un «héritage familial, légué de père en fils». Cette assurance semble conférer au propriétaire du café le statut «d'explorateur intrépide» des ressources végétales dont regorge la forêt d'El-Djour. Il se complaît dans son rôle «central» et ne rechigne pas de remettre sur le tapis ses connaissances herboristes. Se faisant le défenseur de la médecine traditionnelle, il se met à énoncer une multitude de recettes, toutes à base de plantes, issues de Djebel Messaâd et de la forêt d'El-Djour. S'extasiant à l'évocation de leurs multiples vertus thérapeutiques, réelles ou supposées, il prend un malin plaisir à toujours laisser son auditoire sur sa faim : «C'est un secret.» Intarissable, il remet inlassablement le débat dans son contexte «naturel» en questionnant ses clients sur ce qu'ils pensaient de son djour et en les assurant des bienfaits de son infusion qu'il dit «radicale» contre les ballonnements et autres crises de l'appareil digestif. Encouragé par les hochements de tête, il repart de plus belle dans des explications sur les «miracles» du breuvage-vedette de son café, mais en mettant un point d'honneur à ne rien laisser filtrer de sa composition. «C'est la marque déposée de notre région et le fruit de notre mère nourricière, la forêt», se contente-t-il de dire.