Ironie du sort n «Il m'arrive de corriger les copies de mes élèves dans un café. Je me sens dévalorisé.» La situation de Mohamed, rencontré à Alger durant le ramadan passé, illustre la profondeur du drame que vivent de nombreux cadres algériens. «Il y a des docteurs d'Etat que tout le monde voit dans la journée en costume-cravate et bien présentables. De prime abord, on dirait qu'ils sont bien lotis, mais sachez qu'ils vivent dans des hôtels de fortune», révèlent-ils. Lui aussi, est un pluridiplômé d'universités de renommée mondiale et enseigne dans une des facultés de l'université d'Alger. Il y a quelque temps, Mohamed vivait à l'étranger et étudiait dans une des plus prestigieuses universités du monde. «J'allais réussir là-bas, mais des raisons personnelles ont fait que je devais rentrer au pays», explique-t-il avec regret et déception. Une fois rentré en Algérie, il a tenté d'avoir un poste à l'université de sa wilaya de résidence, en vain. «Un problème de mutation s'est vite posé et j'étais contraint de travailler à Alger», explique Mohamed, titulaire de plusieurs doctorats. Aujourd'hui, il vit, depuis deux ans, dans une pièce, louée pour 12 000 Da par mois dans un hôtel de fortune quelque part dans les dédales de la capitale, en compagnie d'un directeur des finances et de la comptabilité dans une entreprise privée. «Ce n'est pas un choix. Il n'y a pas d'alternative», répond-il à la question de savoir s'il n'a pas les moyens de s'offrir un logement décent. «J'ai essayé de louer au moins un studio avec un ami mais c'était hors de notre portée. On nous demande 20 000 DA par mois et une année d'avance», explique encore cet universitaire désabusé. Interrogé sur les conditions de vie dans cet hôtel, notre interlocuteur affirme que tout est aléatoire. «Les coupures d'eau et d'électricité sont monnaie courante, les sanitaires sont communs et je les partage avec quinze personnes, les douches sont inexistantes. En sus, il n'y a pas d'eau potable et je dois acheter quotidiennement de l'eau minérale. C'est très difficile», assure-t-il. «Il m'arrive de corriger les copies d'examen dans un café où parfois je veille jusqu'à une heure tardive de la nuit. «Cela me fait très mal. Je me sens dévalorisé», s'insurge cet enseignant qui estime que le «destin» lui a «tourné le dos». «Quand je rentre le soir à l'hôtel avec ce statut de docteur et enseignant universitaire, je ressens un grand dépit et un grand regret d'avoir passé toute ma vie à faire des études pour rien. Je me dis qu'il y a une antinomie», soupire ce docteur d'Etat qui continue, malgré tout, d'enseigner avec rigueur et de suivre d'autres études. Mais il ne lui échappe pas qu'il est peut-être mieux loti que certains. «Je connais des gens qui sont dans des situations pires que la mienne. Des gens de cinquante ans qui sont au chômage et qui n'ont rien», conclut-il.