A peine romancée, cette histoire relate l?extraordinaire évasion de trois Algériens enrôlés de force au sein de l?armée française puis faits prisonniers par les Allemands, au cours de la Seconde Guerre mondiale. Octobre 1940. Un vent glacial balaie la plaine dans un coin perdu à l?ouest de l?Allemagne. Il fait nuit, à proximité d?un petit bois de pins dont les cimes oscillent violemment sous les rafales, s?étend le chantier du nouveau camp de prisonniers de Veller. Quelques centaines de mètres plus loin jouxtant une vieille bâtisse de pierres, sans doute les ruines d?une ancienne ferme, trois baraques se font face autour d?une grande cour au sol pierreux. L?ensemble est entouré d?une double rangée de grillage haute de quatre mètres, entre lesquelles zigzaguent des fils de fer retenant d?énormes tas de barbelés à grosses pointes. Les huit sentinelles qui vont et viennent, délimitant de leurs torches puissantes le périmètre du camp, semblent les seuls êtres vivants dans ce paysage nocturne à des miles à la ronde. A l?intérieur de la baraque, réservée aux gardiens, une dizaine d?Allemands dorment, affalés sur des lits de camp. Sur une table, dans un coin, des mitraillettes et des ceinturons de cuir sont posés à côté de bouteilles de bière vides. Dans celle des prisonniers, un groupe d?Algériens, couchés sur des paillasses à même le sol, ronflent écrasés par la fatigue d?une harassante journée de travail forcé. Parmi eux, Saoudi, recroquevillé dans sa couverture, alourdie de son manteau militaire, écoute, les yeux fermés, le bruit des pas cadencés des sentinelles sur le sol gelé. Malgré la fatigue, ses pensées s?entrechoquent et l?empêchent de dormir. Des images défilent devant ses yeux comme un film qui se déroule sans fin, le ramenant toujours à l?enfer du front, au déluge de feu qui se déverse sur les tranchées, le bruit assourdissant des bombardiers volant en rase-motte au-dessus de sa tête, les explosions terribles, les hurlements des blessés? Puis à l?ordre du «sauve qui peut», crié d?un bout à l?autre des abris, la fuite éperdue derrière ses compagnons butant sur les cadavres, les mains serrées sur son fusil sans cartouche. A l?exemple de leur général, ils avaient déposé les armes, et ce qui restait de son régiment fut transféré dans une caserne près de Nancy. C?est là qu?il avait constaté les pertes énormes subies par la «compagnie de tirailleurs indigènes», dont il faisait partie. Beaucoup étaient tombés comme des mouches, França les avait utilisés comme de la chair à canon aux premières lignes du front, entre la mort et ses propres fils? Puis au bout de quelques jours, il s?était retrouvé avec une dizaine de ses camarades dans ce camp de travail pour renforcer le groupe chargé de la construction des bâtisses destinées à parquer des milliers de prisonniers? A leur arrivée, les Allemands les avaient poussés à l?intérieur d?une grande baraque, une lumière blafarde pénétrait par une fenêtre aux carreaux blanchis. L?air était irrespirable. Il vit des hommes assis par terre sur de fines paillasses. Quand ses yeux se furent acclimatés à la pénombre, il découvrit avec stupeur leur maigreur extrême. Leurs yeux, profondément enfoncés dans leurs orbites, brillaient? Il se tourna vers ses camarades et un long silence se fit de part et d?autre. Comment ces hommes avaient-ils été réduits à un tel état de délabrement ? Il a soudain l?horrible certitude que lui et ses compagnons allaient subir le même sort que ces malheureux? Depuis quand êtes-vous ici ? Que vous est-il arrivé ? leur demanda-t-il, quand ils furent à leur tour installés sur des paillasses qui semblaient les attendre. L?un d?eux, un grand brun au teint basané s?accroupit devant Saoudi et répondit d?un ton entrecoupé : «On aurait mieux fait de mourir au front? Ils nous tuent au travail et nous mangeons très peu? Vous verrez? On trime de l?aube jusqu?au soir, même les malades ne sont pas épargnés? On construit un très grand camp près d?ici? mais vous, d?où venez-vous ?» Sans répondre à sa question, Saoudi s?exclama : «Mais nous sommes des prisonniers de guerre !» L?autre eut un petit rire grinçant et se tut. (à suivre...)