Misère n «Nous avons souvent faim mais nous préférons subvenir aux besoins de nos filles (lait, couches et habits chauds pour la nuit) plutôt que de manger». Portant dans ses bras la petite Taïba de 3 mois, Hakima une mère sans abri, âgée de 27 ans, dont le petit visage est profondément marqué par des années d'errance, de peur et de chagrin, n'a qu'un espoir aujourd'hui : en finir avec la rue et s'abriter sous un toit, même si c'est celui d'une cave ou d'un chalet avec ses deux petites filles et son mari Abdelhamid. Rencontrée au boulevard Victor-Hugo à Alger, cette maman dit s'être habituée par la force des choses, depuis près d'une décennie, au froid, à la chaleur et à la faim entre le boulevard Victor-Hugo à Alger et aux alentours de la mosquée Errahma, «mais pas au harcèlement et à l'insécurité», dit-elle, dénonçant «des passants, sans foi ni loi, qui me demandent de leur vendre mes filles à 50 et 60 millions», nous dit-elle amèrement. Hakima est originaire de la wilaya de Blida. Elle revendique un petit toit pour elle et ses filles Zahida 2 ans et Taïba 3 mois, «pour me mettre à l'abri des ‘'monstres de la rue'' dont la majorité sont des gens aisés et non pas ceux qui sont dans la rue comme nous», nous dit-elle. «nous avons souvent faim mais nous préférons subvenir aux besoins de nos filles (lait, couches et habits chauds pour la nuit) plutôt que de manger. Un plat chaud de lentilles nous permet de tenir lorsqu'il fait froid, une pizza ou un morceau de pain en saisons chaudes. L'essentiel est que nos filles n'aient pas faim» intervient Abdelhamid. Et Hakima de renchérir : «Avant la naissance des 2 filles, nous pouvions nous permettre un coin chaud dans un hôtel pas cher de temps à autre. Et bien que nous nous présentions avec nos papiers et notre livret de famille, on nous acceptait difficilement pour la simple raison que nous sommes des SDF.» Son mari, Abdelhamid C., 49 ans, qu'elle connaissait depuis près de 9 ans, est originaire de la wilaya de Médéa, mais il a toujours vécu à El-Harrach chez des parents. Il a depuis toujours exercé le métier de vendeur d'objets collectés dans les rues et les décharges publiques qu'il revend au souk d'lala de Bab el-oued, Belcourt et devant l'hôpital Mustapha. Ils se sont mariés en 2007. «J'ai un livret de famille et les carnets de santé de mes 2 filles», assure Hakima. «Depuis la fermeture de ‘'souk d'lala'' de Bab el-Oued, devant la mosquée, je n'ai plus d'endroit pour vendre mes objets. Pourtant j'arrivais à gagner de quoi nourrir ma famille pendant quelques jours car nous ne sommes pas exigeants. Je me suis déplacé vers le petit souk d'lala, mitoyen de l'hôpital Mustapha. Idem, il a été interdit. Aujourd'hui, je me déplace, mais rarement, vers Belcourt pour une vente rapide car je ne peux plus laisser ma famille seule dans la rue à cause des embêtements et du non-respect de certains passants», reprend le mari. «On peut dire qu'il ne travaille plus depuis la naissance des 2 filles pour rester avec nous et nous protéger des agressions», explique sa femme. l Hakima assure que ni elle ni son mari ne sont des bras cassés. «Nous avons vainement cherché du travail. Mais dès qu'on découvre que nous sommes sans abri, on nous chasse. Pourquoi ? Ne sommes-nous pas des êtres humains ? des Algériens ?», crie-t-elle. «J'ai surtout cherché du travail dans le nettoyage des immeubles avec ma femme pour, peut-être, avoir droit à une cave pour protéger ma famille du froid et du danger surtout le soir», l'interrompt Hamid. Le couple, selon le mari, ne se sépare qu'en cas de force majeure (hospitalisation ou autres). «J'ai peur des enlèvements d'enfants», nous dit Hakima. «je ne veux plus que mon mari se bagarre à cause de moi, de peur qu'il ait des problèmes avec les gens ou la police ou qu'il aille en prison», reprend-elle, en demandant au chef de l'Etat de se pencher sur le cas des ces familles vivant dans la rue. «Il y a de vrais cas de misère, même s'il existe de faux mendiants et des imposteurs». n Hakima se dit révoltée contre sa famille qui ne l'a jamais aidée :«Ma mère a été victime du terrorisme en 1992. Depuis, ma famille est complètement dissolue. Mon père nous a dispersés moi et mes 6 autres frères et sœurs, nous plaçant chez des parents. Moi, à l'âge de 11 ans, j'étais chez mon oncle qui me maltraitait horriblement. Je me plaignais à la famille mais personne ne voulait me croire. Je fuguais, de temps en temps, pour échapper à cet enfer. Puis j'ai été conduite chez ma tante à Oran. Une année après, je suis revenue chez moi où j'ai été surprise du remariage de mon père et de la présence d'une marâtre qui me maltraitait. J'ai fini par fuguer définitivement de chez moi à l'âge de 15 ans, trouvant refuge dans les rues de Blida, Koléa, Alger…», se souvient-elle revendiquant son droit à une aide de sa famille. Son mari reprend : «Nous sommes allés chez elle à Blida demander de l'aide, le temps de nous mettre sur pied, mais aucune suite. On nous a chassés. Pour ma propre famille, ils se sont partagé tout l'héritage après le décès de mon père. Rien pour moi. En principe, une part de l'héritage aurait dû me revenir mais mon défunt père avait plusieurs femmes. Et évidemment beaucoup d'enfants. Il s'était marié même à l'étranger ! Voilà. Les enfants payent les erreurs des parents.»