Lors d'une nuit, sous la vague de froid qui a sévi depuis près d'une semaine ces derniers jours, nous sommes allés à la rencontre des sans-abri de la ville d'Alger. 20h30 : alors que la pluie commence à tomber, nous sommes allés à la recherche des sans-abri. Assise avec un petit garçon à ses côtés sur un banc d'un abribus du côté du Palais du peuple, une jeune femme refuse au début de nous parler, mais avec un peu d'insistance, elle finit par lâcher qu'elle est issue de Bab El-Oued et que le petit est son fils. “C'est ma mère qui m'a chassée de la maison quand j'avais 18 ans. J'ai appris à me défendre et avoir des amis qui me protègent. Je ne risque rien ici. Tout le monde me connaît. Les jeunes du quartier me protègent”, lancera-t-elle. Son histoire ressemble à celle de centaine de filles dans la rue. Tombée enceinte, les parents n'ont trouvé d'autresolution que de la mettre dehors. “Mon fils est scolarisé dans mon ancien quartier. Le soir, il reste avec moi dans la rue”, avouera-t-elle. Son souhait : avoir un petit chez-soi où elle pourrait élever son fils. Il pleut, il fait un froid glacial, Zohra est une habituée du quartier de la Grande-Poste. Âgée de 46 ans, elle survit grâce à la charité. “Je suis divorcée. J'ai frappé à toutes les portes mais personne n'a voulu m'aider. Je n'ai que la rue pour m'abriter et mes yeux pour pleurer de temps en temps. J'étais hébergée au centre de Birkhadem, mais ce lieu est insupportable. Nous sommes mêlées à des malades mentaux, à des voleurs et à toutes sortes d'agressions. Ici au moins, je peux me procurer un peu d'argent pour faire vivre mes enfants”, se console-t-elle. Un peu plus loin de Zohra, devant la porte de la Grande Poste, deux marginaux ont pris possession des lieux la nuit tombée depuis quelques années. Le premier est père de quatre filles qu'il n'a pas vues depuis 4 ans. “J'ai quitté ma ville natale, Oran, pour trouver un emploi à Alger. Je n'ai pas pu supporter de voir mes enfants mourir de faim. Je voulais gagner de l'argent et rentrer chez moi. Sauf que je n'ai pas pu trouver un emploi. Je passe mes journées à dénicher des petits boulots et le soir, je reviens ici”, racontera-t-il en confessant qu'il ne peut repartir chez lui les mains vides. “Bien que je ne sache pas ce que sont devenues mes enfants, je ne repartirai pas à Oran tant que je ne trouverai pas un travail qui me permettra de les nourrir”, répétera-t-il. Son voisin de fortune, un homme d'une cinquantaine d'années, préparait déjà sa couchette avec des bouts de carton. C'est avec beaucoup d'amertume qu'il parle de son père qui est la principale cause de son malheur. “Tout a commencé quand j'avais 6 ans. J'ai été violé par mon père. Ce harcèlement a duré pendant plusieurs années. De peur de me révolter et de le dénoncer, il m'a mis à la porte. J'ai dû me débrouiller comme je pouvais pour survivre à Alger, en vain. J'ai fini par trouver le moyen de partir en France où j'ai passé 12 ans de ma vie entre la rue et les centres d'accueil. Mais j'ai fini par rentrer tout en espérant intégrer le domicile familial. Malheureusement, mon père m'a déclaré qu'il ne veut plus me revoir et que si je m'approchais de son chez lui, il me tuerait. J'ai pris peur et je me suis réfugié dans la rue”, nous racontera-t-il avec beaucoup de mal. Il est 22 heures Direction, la placette en face de l'hôpital Mustapha, un lieu privilégié pour beaucoup de “marginaux”. À proximité du commissariat de police, ils ne dorment pas encore, ils discutent entre eux de choses et d'autres, et parfois avec des personnes habitant le quartier. Karima est âgée d'à peine 22 ans, mais elle en paraÎt plus. “Je suis une fille du village SOS de Draria. On refusant de me marier, les responsables de ce centre m'ont mise à la porte car je suis majeure. J'ai été hébergée au centre de Birkhadem, mais les responsables nous mettent à la porte le plus tôt possible. Sincèrement, nous préférons la rue. J ai un diplôme en pâtisserie, mais à quoi servira-t-il si je ne peux pas trouver du travail. Je n'ai pas de papiers d'identité, donc, je ne peux rien faire. Je veux avoir une vie normale. Aujourd'hui, je ne survis que grâce à la charité des bienfaiteurs”, déclare-t-elle. Les dangers de la rue, elle les côtoie tous les jours. “J'ai reçu quatre coups de couteaux sur différente parties de mon corps. Une agression qui m'a coûté 4 mois d'hospitalisation (coma), parce que je me suis défendue contre des délinquants qui voulaient me violer”, avouera la malheureuse, en larmes. Mourad est également “fils de l'assistance”, nous dira-t-il. Il était hébergé au centre de Birkhadem mais pas pour longtemps. “À peine si on vous laisse cinq jours, ensuite, on vous met à la porte. Les responsables de ce centre prétendent vouloir nous aider pour la création d'une activité, en contrepartie on nous demande une somme de 20 000 DA. Quel est le SDF qui possède cette somme d'argent ?” se demande-t-il Issu de parents divorcés, ne supportant plus les cris des nouveaux conjoints de leurs parents, ils se sont retrouvés par la force des choses dans la rue. “Ni mon père ni ma mère n'ont voulu de moi après leur divorce. Je n'ai pas trouvé un endroit à part la rue. Ils sont nombreux, mes semblables. Ne nous demandez pas pourquoi nous sommes là, ni pourquoi nous nous droguons. Tout simplement parce que nous n'avons pas le choix. Nous voulons juste oublier nos malheurs dans l'alcool et la drogue et le danger qui nous guette dans la rue”, lancera, révolté, un jeune de 17ans. “Nous voulons juste la sécurité” 23h passées Grelottant, ils préfèrent affronter le froid, la faim mais pas l'insécurité. “Nous choisissons de nous installer à côté des commissariats de police, des hôpitaux et des institutions de l'Etat pour notre sécurité. Beaucoup de nos amis se sont fait agresser par des délinquants et des ivrognes. Ici, nous sommes en sécurité”, soulignera une jeune femme allongée en face d'un commissariat. Ramenés de force par les agents de sécurité vers le centre de Birkhadem, ils dénoncent les conditions de vie dans ce dernier. “C'est pire que la rue. Nous sommes menacés par les vols et le racket par d'autres SDF”, martèle la majorité de ces sans-abris. À quelques mètres du CHU Mustapha, des dizaines de femmes, dont la majorité est des divorcées, sont assises devant les portes des immeubles. “Ne me parlez surtout pas de loi, ni de droit. Si nous sommes dans la rue, c'est parce que personne ne nous protège. Je suis divorcée depuis 5 ans. Mes parents m'ont demandé d'abandonner ma fille si je veux réintégrer le domicile familial. Chose que j'ai refusée. Aujourd'hui, je n'ai qu'un souhait, c'est de protéger ma fille des agressions quotidiennes. Je veux que ma fille soit prise en charge par une famille le temps que je trouve un toit”. Le visage inondé de larmes, elle nous prie de prendre sa fille avec nous. “Sauvez-là, s'il vous plaît”, suppliera-t-elle. Une autre nous avouera qu'elle ne cherche que la sécurité : “Nous nous abritons à l'intérieur de l'hôpital, devant le commissariat et des fois dans les cages d'escalier si les habitants ne nous chassent pas.” En effet, la plupart de ces exclus de la société ne cherchent que la sécurité qui est plus importante des fois que la nourriture et l'habit. “Nous attendons minuit et nous nous installons à l'intérieur de l'hôpital. Je me sens en sécurité ici”, selon des témoignages. Ils ont choisi les alentours de la mosquée El-Rahma pour en faire leurs quartiers. Allongés sur des cartons, sous une tente fabriquée de cartons et de grands sachets en plastique, ces sans domicile fixe risquent chaque jour leur vie. “Revenez demain, j'ai pris des médicaments. Je ne peux pas sortir de ma tente”, nous dira une voix, membre d'une famille expulsée de son logement. “C'est un couple de vieux expulsé par leur propre fils de leur appartement qui est juste en face”, nous renseignera une femme. “Je vais vous guider vers d'autres SDF qui pourront vous parler”, nous proposera cette dernière.