Greg Wilkinson, shérif de Mobile, une bourgade perdue de l'Arizona, en bordure de la grande réserve apache, est en train de tuer le temps, en cette matinée du 8 mai 1932. Il ne se passe pas grand-chose dans la localité dont il a la charge. Les immigrants de fraîche date qui la composent, sont des travailleurs sérieux. Quant aux Indiens, ils font la police eux-mêmes. Le shérif ne doit intervenir que pour un fait vraiment grave, comme un meurtre, mais ce n'est jamais arrivé jusqu'à présent... Une pétarade se fait entendre à l'extérieur. Un motard s'arrête devant le poste de police. Sur son engin sont entassés de volumineux bagages. L'homme a sûrement l'intention de séjourner dans la réserve et sans doute vient-il demander des conseils sur le meilleur itinéraire à suivre. Greg Wilkinson n'aime pas trop cela. Les Indiens ne sont pas d'exotiques personnages, qui attendent les touristes pour se faire quelque argent. Dans sa réserve, la plus grande d'Amérique, ils sont soixante mille à avoir conservé la manière de vivre et les croyances de leurs ancêtres. Ils sont jaloux de leur tranquillité et risquent, si on les importune, d'avoir des réactions imprévisibles... Le motard vient d'entrer. Il retire son casque et Greg Wilkinson bondit sur son siège. Il a devant lui une charmante jeune femme de vingt-cinq ans environ. La jolie brunette aux yeux bleus, coiffée à la garçonne, comme c'est la mode en ces années 30, lui sourit. — Bonjour, shérif ! J'aurais besoin de vos conseils. Pourriez-vous m'aider ? — Pour quoi faire, mademoiselle ? — Pour parcourir la réserve apache. J'ai l'intention d'y rester trois mois. Greg Wilkinson considère avec ahurissement son interlocutrice. Elle n'a pas l'air folle, elle semble parfaitement maîtresse d'elle-même. — Vous ne parlez pas sérieusement ? — Je suis on ne peut plus sérieuse. Permettez-moi de me présenter. Je m'appelle Audrey Schneider. Je suis étudiante en sociologie à l'université de Columbia et je fais une thèse sur les Apaches. Mon travail est déjà avancé mais, bien entendu, il faut que je me rende sur le terrain. — C'est de la folie. C'est beaucoup trop dangereux ! — De quel danger voulez-vous parler ? — Comme si vous ne le saviez pas ! Une jeune fille seule au milieu de tous ces sauvages. Et une Blanche de surcroît ! C'est une véritable provocation. Vous n'en sortirez pas vivante ! La jeune étudiante ne s'émeut pas. — Vous vous trompez, shérif. Les Apaches ne sont pas des sauvages. Je les connais peut-être mieux que vous. Leur civilisation est très ancienne et, chez eux, les lois de l'hospitalité sont sacrées. Avez-vous le pouvoir de m'empêcher d'y aller ? — Non, effectivement. Je ne peux pas vous interdire de vous suicider. — Alors, aidez-moi, s'il vous plaît... J'ai l'intention d'aller sur les bords de la rivière Blanche. Quel est le meilleur chemin à votre avis ? Le shérif Greg Wilkinson soupire. L'écervelée a choisi l'endroit le plus reculé de la réserve, celui que les Indiens considèrent un peu comme leur sanctuaire. Mais il doit quand même lui venir en aide. Le chemin n'est pas évident. Il faut qu'il lui indique le plus sûr pour qu'elle évite au moins de se rompre le cou... Audrey Schneider écoute avec attention les explications que le policier lui fournit et, lorsqu'il a terminé, elle remet son casque. — Merci, shérif. Nous nous reverrons dans trois mois. Greg Wilkinson lui souhaite bonne chance et la regarde s'éloigner... Il sait très bien, lui, qu'il ne la reverra ni dans trois mois, ni dans six mois, ni dans un an. Il ne la reverra jamais ! (à suivre...)