Il fait un temps splendide, ce 3 juin 1957, ce qui n'a rien de surprenant, en Floride. Et pourtant, à deux milles des côtes, un navire est en train de sombrer. Dans une mer de rêve, qui semble faite pour la baignade et le ski nautique, le «Maine», navire marchand transportant une cinquantaine de passagers à destination de La Havane, s'enfonce doucement après avoir heurté un récif. Sur le pont, c'est un début de panique parmi les passagers. Une femme pousse des cris perçants, un homme s'accroche à ses trois valises. Le capitaine lance des ordres brefs : — Rassemblement à bâbord ! Mettez vos gilets de sauvetage ! Un seul bagage à main par personne ! Le capitaine retourne à l'intérieur du navire. Dans la cale, il est presque impossible de pénétrer : l'eau monte jusqu'à la ceinture et les caisses de la cargaison ont été brisées par le choc. Le capitaine grimpe l'échelle quatre à quatre, parcourt au pas de course les cuisines, la salle à manger, le salon. Il arrive aux cabines des passagers... Alors qu'il va entrer dans la première, un homme se plaque rapidement contre la paroi, derrière la porte. Le capitaine ouvre, jette un rapide coup d'œil et continue son inspection... Maintenant tout le monde est rassemblé sur le pont. Les deux canots contenant les passagers sont mis à la mer... C'est au tour de celui de l'équipage. Le capitaine lance un dernier regard au «Maine», qui continue à s'enfoncer, et monte dans l'embarcation de sauvetage... Dans la cabine, l'homme met la tête au hublot. Il pousse un léger soupir en constatant que tout le monde a quitté le navire. Il sort précipitamment et va en direction de la cale. — John ! Eh, John ! Tu peux sortir, ils sont partis... Depuis les profondeurs, une voix lui répond : — Il était temps ! J'avais de l'eau jusqu'au nombril. Non, tous les passagers du «Maine» n'ont pas été embarqués sur les canots. Il en reste deux qui ont choisi de rester sur l'épave au risque de couler avec elle. Pourquoi ? Dans le bateau en train de sombrer, les deux hommes se sont installés au bar de la salle à manger et se sont servi une bière. Le plus grand, un blond à la carrure impressionnante, la trentaine environ, semble parfaitement calme malgré l'urgence de la situation. L'autre, au contraire, plus jeune, brun, de taille moyenne, paraît très nerveux. — Et maintenant John, qu'est-ce qu'on fait ? Le grand blond s'essuie les lèvres d'un revers de main. — T'affole pas, Kenneth ! Tu ne voulais tout de même pas qu'on aille avec les autres ? A cette perspective, Kenneth a une grimace. — Non, bien sûr ! Mais il est en train de couler ce fichu bateau !... John quitte la salle à manger et revient sur le pont. — D'abord, on garde notre sang-froid. C'est parce qu'il a perdu la tête que Dixie s'est fait piquer. Les deux hommes se penchent au-dessus du bastingage : l'eau est calme. Il n'y a pratiquement pas de vagues mais elle est à peu près à un mètre du pont et continue à monter doucement. La côte semble toute proche, mais en mer les distances sont trompeuses. Le «Maine» s'est échoué à environ deux milles marins, soit près de quatre kilomètres... Le grand blond regarde en direction de la terre. — C'est très faisable ! A peine deux heures... Comme ça, on débarquera dans un endroit tranquille et pas dans un port où il y a sûrement nos avis de recherche. Kenneth a une expression d'angoisse. — Je croyais qu'on avait coulé plus près. C'est beaucoup trop loin pour moi. Je ne suis pas assez bon nageur... (à suivre...)