Guelma Il jure avoir voyagé avec une ombre qui était en parfaite symbiose avec lui. Djamel, qui n?avait pas beaucoup parlé depuis que nous avions dépassé Oued Zenati et qui semblait plutôt concentré sur la conduite de son véhicule, se tourna légèrement vers moi et me chuchota d?une voix que je ne lui connaissais pas : «Si nous arrivons à bon port à Annaba, je t?apprendrai quelque chose qui t'étonnera certainement !...» Il n?en dira pas plus durant tout le reste du trajet jusqu?à Guelma. Intrigué par ces propos étranges, je me posais mille et une questions sur ce qu?allait m?apprendre mon compagnon. Ce dernier ne donnait toutefois pas l?impression de quelqu?un de particulièrement inquiet. Bien au contraire, ce que je pouvais distinguer des traits de son visage dans la nuit noire indiquait qu?il était plutôt dispos pour le reste du voyage. Constat qui me rassura quelque peu pendant que nous roulions. Il devait être vingt et une heures lorsque nous atteignîmes le rond-point situé à l?entrée de Guelma. Les policiers en faction à cet endroit étaient les seules personnes que nous rencontrions depuis que nous avions quitté Constantine et j?en éprouvais un vague sentiment de réconfort. Ils nous saluèrent poliment après avoir jeté un bref regard à l?intérieur de notre véhicule, histoire de nous contrôler de façon discrète. Nous redémarrâmes et sitôt que nous les eûmes dépassés d?une dizaine de mètres, Djamel s?adressa à moi : «Tu sais que nous avions un passagers à bord ? Il est descendu il y a une minute à peine, aussi discrètement qu?il est monté ! Je suis sûr maintenant que tu ne t?en étais pas rendu compte, c?est la raison pour laquelle je ne t?en ai rien dit.» Excité tout d?un coup, Djamel se mit à me raconter dans le menu détail comment notre «compagnon de voyage» était monté à bord de notre voiture. «Nous étions à hauteur d?El-Eulma et j?avais allumé mes feux de route à cause de la pénombre si tu t?en souviens. C?est à ce moment-là que j?ai nettement senti une présence juste derrière moi. Rien de bien précis, mais une présence matérielle que je ne pouvais définir. J?ai même eu le réflexe de me retourner pour voir de quoi il s?agissait. Maintenant que j?en parle, je me rends compte que notre passager m?a tacitement convaincu de n?en rien faire.» Ponctuant son étrange récit d?exclamations, mon ami ne se rendit même pas compte qu?il avait tout bonnement arrêté son auto sur le bas-côté de la route qui nous menait vers Annaba. «Je veux t?avouer que cette présence ne m?a inquiété à aucun moment. L?ombre qui a voyagé avec nous était là pour nous protéger contre je ne sais quoi. Tu as certainement remarqué que la route n?était pas du tout fréquentée. Nous n?avons pas rencontré âme qui vive depuis la sortie d?El-Khroub.» Notre aventureux voyage ayant eu une fin heureuse, j?ai eu le loisir d?en parler avec un vieux routier de ma connaissance, quelques jours après, et quelle ne fut pas ma surprise lorsque ce dernier m?apprît que le passager qui nous avait accompagnés durant cette nuit n?était autre que le «med» (le spectre) des grands chemins. La pire des apparitions pour les usagers de la route, selon mon vieil ami, qui m?assura que Djamel et moi avons eu beaucoup de chance de nous en être sortis indemnes. Il me raconta un bon nombre d?histoires qui s?étaient mal terminées pour ceux qui avaient rencontré le spectre. Des histoires auxquelles un esprit rationnel ne peut croire. Djamel, pourtant, ne cesse de jurer qu?il a voyagé avec une ombre qui a été en parfaite symbiose avec lui...