Salah Boubnider est né à Oued Zenati (Guelma), dans une famille extrêmement modeste. Très jeunes, ses cinq frères et lui sont orphelins de père, emporté par le paludisme. « Le paludisme, dira-t-il plus tard, était une maladie mortelle. Il n'y avait pas de médicaments et quand bien même il y en aurait eu, nous n'avions pas les moyens de les acheter. » Après un bref passage (4 ou 5 ans) à la medersa, il est happé par la vie active. Comme pratiquement tous les enfants de colonisés, il exerce plusieurs petits métiers pour survivre. La Seconde Guerre mondiale éclate alors qu'il n'avait pas encore dix ans. Une guerre qui précipite le pays tout entier dans une pauvreté encore plus âpre du fait de la rareté du travail et de la nourriture. La fin de la guerre n'arrangera en rien les choses, puisqu'elle verra l'introduction de nouvelles technologies de l'agriculture comme la mécanisation des opérations des labours et des moissons, périodes de l'année qui absorbaient beaucoup de main-d'œuvre saisonnière. Les tragiques événements de mai 1945 interviennent, alors qu'il est encore dans les rangs des Scouts musulmans algériens (SMA). A ce titre, il prend une part active dans l'organisation à Oued Zenati des manifestations qui se voulaient pacifiques à l'occasion de la victoire des Alliés sur les armées nazies. « Nous les voulions sincèrement pacifiques, puisque certaines personnes sont venues armées de pioche, de pic et de fourche, et nous les avons désarmées pour éviter tout incident. Nous ne voulions pas d'affrontements avec les gendarmes. » Naïvement et comme toutes les populations qui, depuis le début du mois de mai, manifestaient ici et là à travers tout le pays, que ce soit à l'appel du mouvement des Amis du manifeste et de la liberté (AML) ou directement du Parti du peuple algérien (PPA), ils revendiquent l'application des dispositions de la Charte des Nations unies de San Francisco, fraîchement votée, qui pompeusement appelait à la libération des peuples. Texte œcuménique s'il en fut et qui pompeusement proclamait la fraternité universelle. Le tout entretenu par un discours équivoque du général de Gaulle prononcé à Brazzaville lequel disait-on promettait une « certaine autonomie ». Il sera témoin du carnage du 8 mai 1945 et des jours suivants. « Le lendemain l'armée française intervenait. Le village a été assiégé un mois durant. L'aviation, l'artillerie, tous les moyens ont été mis en branle. La barbarie. Le pillage. Les victimes étaient dépouillées des quelques objets de valeur qu'elles portaient. On arrachait des boucles d'oreilles en emportant des morceaux de chair sanguinolents et qui étaient revendues le soir dans les rues. » C'est à cette période qu'il adhérera au PPA. « Je vendais notre journal l'Algérie libre. Je prenais un malin plaisir à aller claironner ce titre ô combien symbolique dans les bars que fréquentaient les colons. Je jubilais de la colère que ce nom suscitait. » Et lorsqu'on lui demande pourquoi son choix et son engagement ont-il été portés sur ce parti et non un autre, il répond : « Le PPA se battait pour nous. Le PPA était comme son nom l'indique le parti du peuple, son programme traduisait nos revendications. » Membre de l'OS (1947), il fait la connaissance de Boudiaf, de Didouche lesquels ont animé l'OS à l'est du pays, et surtout de Zighoud Youssef pour lequel il voue une remarquable amitié mêlée d'une profonde admiration. C'est l'époque où il rencontre également plusieurs autres responsables et cadres du PPA-MTLD au niveau national. Il est arrêté en 1950 avec le démantèlement de l'OS, suite à l'affaire de Tébessa. « Une organisation militaire clandestine ne doit pas dépasser les 6 mois avant de passer à l'action », nous dira-t-il presque sentencieusement. Il aura du reste à cette époque un jugement critique sévère à l'endroit des responsables au plus haut niveau du PPA-MTLD. « Des affaires de personnes », « des histoires de leadership qui ont miné le parti », « la décision s'est individualisée ». Vient un épisode cocasse de la vie de Si Salah, qu'il racontait avec cet inévitable rire étouffé qui en ponctuait la fin : « Nous avions passé 14 mois en prison avant d'être jugés. Ma mère qui possédait une vache l'a vendue pour me constituer un avocat, un certain Me Arnaud, mais au lieu de plaider pour moi, mon défenseur a demandé un châtiment exemplaire. Le voilà dressé contre moi et m'accablant de tous les crimes. » Condamné, il purge deux ans de prison à Annaba, puis à Serkadji à Alger où il est placé dans le pavillon des x, un quartier d'isolement pour les « ni politique ni droit commun ». Sa déception sera énorme à sa sortie de prison. Le parti qui pour des raisons évidentes de survie n'a pas reconnu l'existence de l'OS leur tournera le dos. Rentré à Oued Zenati, il sera accueilli par « les injures des colons et les quolibets des antipatriotes ». A la veille du 1er Novembre 1954, il est contacté par Didouche Mourad pour des missions de sabotage, de propagande et d'agitation dans le secteur de Oued Zenati. « La mort de ce grand chef a été un coup très rude, une perte immense d'une figure de notre histoire. » Ce n'est qu'après la mort de Didouche (18 janvier 1955) qu'il reçoit l'ordre de rejoindre le maquis. Il participe aux opérations d'août 1955. Lorsque nous avions décidé du 20 août 1955, nous nous sommes longuement concertés. Zighoud avait dit : « C'est au peuple de se libérer lui-même. Nous ne sommes pas leurs libérateurs. Nous ne faisons que l'organiser. La responsabilité lui revient. De deux choses l'une : ou il se libère ou il coule. » Interrogé sur le prix du sacrifice et les 12 000 victimes de la terrible répression française qui a suivi le 20 août 1955, il répond agacé : « Nous nous attendions à plus...Tuer 10 000 ou 100 000 hommes ne représente rien pour le système colonial. Bien sûr qu'on déplore qu'il y ait eu autant de victimes...C'était le prix à payer pour voir juillet 1962 et l'écroulement du colonialisme. Il s'agissait d'une révolution. Nous avons fait ce que nous croyions être le mieux pour épargner la vie du peuple algérien. » Y avait-il une autre solution ? De toutes les grandes réalisations de l'ALN, il semble que celle qui lui tenait le plus à cœur était l'expérience des Assemblées populaires élues démocratiquement, malgré la guerre totale imposée par les armées françaises. La destruction de la relation entre les populations et l'administration en place devait être accompagnée par une institution de substitution, alors que le système colonial réunissait plusieurs douars pour constituer une commune. « Tribus ou familles qui ne s'entendaient pas forcément entre elles, nous avons privilégié la représentation plus homogène d'élections par douar ou village. Depuis ce sont les populations, elles-mêmes, qui se sont chargées du ravitaillement, de la nourriture, des médicaments, y compris de la neutralisation des traîtres et autres agents de forces coloniales. Nous avions donné la révolution au peuple. » La disparition au lendemain du Congrès de la Soummam de son chef et ami le colonel Youssef Zighoud va laisser en lui un grand vide et l'émotion qui accompagne l'évocation du nom de ce grand militant de la cause nationale et combattant de la liberté, trahit une cicatrice qui ne s'est jamais réellement fermée. Membre de l'état-major de la Wilaya II, il en devient le colonel, chef politico-militaire en 1959 après le départ vers l'extérieur de Ali Kafi. Saout El Arab confirmera alors la pleine mesure de toutes ses qualités, mêlant l'audace dans l'action, la sagesse dans la décision, l'humilité dans le comportement de meneur d'hommes qu'il fut. (Voir témoignage de Lamine Khène). Il restera à la tête de cette wilaya jusqu'en 1962. Membre du CNRA, il participe au Congrès de Tripoli et s'oppose violemment à Ben Bella sur la question des mandats de Tahar Zbiri. Il prit la défense de Ben Khedda, alors président du GPRA, qui avait été grossièrement injurié par Ben Bella. En compagnie de Ben Tobbal, il est arrêté le 25 juillet 1962 à Constantine par Ali Berredjem qui avait rallié la Wilaya I sous le commandement de Zbiri partisan de Houari Boumediène et de l'armée des frontières. Libéré, il rencontre Ben Bella à Oran et se rallie au groupe d'Oujda. Il reçoit la charge des affaires publiques et administratives de la Wilaya II. Membre fondateur du PRS, membre du conseil de la révolution (1965-1967), membre du Conseil de la nation (1997-2001), membre fondateur et résident du Comité des citoyens de défense de la République (CCDR) (1998). Après une longue maladie, il décède à Paris le 27 mai 2005.