Résumé de la 1re partie n La bouteille dont le goulot a terminé comme godet dans une cage, raconte, avec nostalgie, tout son cheminement au canari... La caisse où elle se trouvait fut descendue dans la cave d'un marchand de vin ; on la déballa, et pour la première fois elle fut rincée. Ce fut pour elle une sensation singulière. On la rangea de côté, vide et sans bouchon ; elle n'était pas à son aise ; il lui manquait quelque chose, elle ne savait pas quoi. Enfin elle fut remplie d'excellent vin, d'un cru célèbre ; elle reçut un bouchon qui fut recouvert de cire, et une étiquette avec ces mots : Première qualité. Elle était aussi fière qu'un collégien qui a remporté le prix d'honneur : le vin était bon et la bouteille aussi était d'un verre solide et sans soufflure. On la monta à la boutique. Quand on est jeune, on est porté au lyrisme ; et en effet elle sentait fermenter en elle toutes sortes d'idées de choses qu'elle ne connaissait pas, des réminiscences des montagnes ensoleillées où pousse la vigne, des refrains joyeux. Tout cela résonnait en elle confusément. Un beau jour, on vint l'acheter ; ce fut l'apprenti d'un fourreur qui l'emporta. On la mit dans un panier à provisions un fromage, du beurre le plus fin, du pain blanc et savoureux. Ce fut la fille même du fourreur qui emballa tout cela. C'était la plus jolie fille de la ville. Toute la société monta en voiture pour se rendre dans le bois. La jeune fille prit le panier sur ses genoux ; entre les plis de la serviette blanche qui le recouvrait, sortait le goulot de la bouteille ; il montrait fièrement son cachet rouge. Il regardait le visage de la jeune fille, qui jetait à la dérobée les yeux sur son voisin, un camarade d'enfance, le fils du peintre de portraits. Il venait de passer avec honneur l'examen de capitaine au long cours, et le lendemain il devait partir sur un navire. Lorsqu'on fut arrivé sous la feuillée, les jeunes gens causèrent à part. La bouteille entendit encore moins que les autres ce qu'ils se dirent, car elle était toujours dans le panier ; elle en fut tirée enfin ; la première chose qu'elle observa, ce fut le changement qui s'était opéré sur le visage de la jeune fille : elle restait aussi silencieuse que dans la voiture ; mais elle était rayonnante de bonheur. Tout le monde était joyeux et riait gaiement. Le brave fourreur saisit la bouteille et y appliqua le tire-bouchon. Jamais le goulot n'oublia plus tard le moment solennel où l'on tira pour la première fois le bouchon qui le fermait. Schouap, dit-il avec une netteté de son de bon augure, et puis quel doux glouglou il fit retentir lorsqu'on versa le vin dans les verres ! — Vivent les fiancés ! s'écria le fourreur. Et tous vidèrent leur verre, et le jeune marin embrassa sa fiancée. — Que Dieu vous bénisse et vous donne le bonheur ! reprit le papa. Le jeune homme remplit de nouveau les verres : — Buvons à mon heureux retour, dit-il. D'ici à un an, nous célébrerons la noce ! Et lorsqu'on eut vidé les verres, il prit la bouteille et s'écria : — Tu as servi à fêter le jour le plus heureux de ma vie. Après cela, tu ne dois plus remplir d'emploi en ce monde : tu ne retrouverais plus un aussi beau rôle. Et il lança avec force la bouteille en l'air. (à suivre...)