Evénement n Les familles de la wilaya s'apprêtent à fêter, comme le veut une vieille coutume locale, «chahou er-rabi'e» (commencement du printemps) par un gigantesque pique-nique champêtre. Cette tradition immémoriale, respectée aussi bien en ville que dans les campagnes des Bibans, consiste en un rituel, bien huilé par les siècles, qui débute tôt le matin par une promenade familiale à travers champs et prairies, au milieu des piaillements des enfants. «C'est au cours de cette journée que les plats traditionnels et les confiseries purement paysannes sont préparés, avec délicatesse, uniquement avec des ingrédients naturels», souligne Hadja Sassia Bensfia, 79 ans, originaire de Bordj Ghedir. «Aucun ingrédient industriel n'est admis dans nos recettes, pas même le sucre», insiste la vieille dame, citant volontiers des produits du terroir tels que l'huile d'olive, la farine de blé et d'orge, le miel, le beurre naturel, les œufs, la viande séchée du mouton de l'Aïd el-adha et les dattes écrasées. Hadja Bensfia est souvent invitée, dès que le premier vendredi ensoleillé de mars pointe son nez, pour préparer avec amour Lembardja ou, plus communément, el-bradj, une pâtisserie traditionnelle typiquement paysanne, préparée à base de semoule de blé, de beurre et farcie de dattes écrasées. Un vrai repère culinaire de «chahou er-rabi'e», en somme. Il suffit juste de «provoquer» cette solide septuagénaire pour qu'elle étale tout son bagout et se mette à disserter avec force gestes autour des traditions séculaires de la région des Bibans, sur lesquelles elle semble incollable. Ses grands-parents, puis ses parents lui ont raconté qu'à des époques lointaines, bien avant la colonisation française, le premier vendredi de la saison du printemps était fêté comme une «nouvelle naissance de la nature». Mieux, la grande prière de ce vendredi-là était accomplie dans les champs par l'Imam du village. «C'était l'une des rares journées où des femmes qui n'étaient ni de la même famille ni de la même tribu, pouvaient se rencontrer pour deviser librement», souligne encore la vieille dame, avant de glisser d'une voix à peine perceptible et les yeux baissés que «chahou er-rabi'e», c'est aussi «la seule journée de l'année où les garçons pouvaient admirer les jeunes filles et choisir ainsi leurs futures épouses». En outre, Yennayer, dont l'origine n'est pas connue avec exactitude, est toujours célébré dans la bonne humeur. Hadja Sassia Bensfia estime le moment idéal pour étaler encore plus de connaissances en évoquant le «chiouchiou» qui, dit-elle, est un plat kabyle préparé avec du couscous d'orge, de l'huile d'olive et de la viande séchée, le tout cuit à la vapeur avec l'ensemble des légumes du printemps.