Disparition n Qu'elles peuvent être ternes ces ruelles d'Alger où l'on ne croise plus ces champions des petits métiers qui rendaient leurs loyaux services à qui les sollicitait pour une vitre cassée, un tamis abîmé ou un robinet qui fuit. Ces petits métiers qui faisaient partie de notre quotidien, tels ceux de vitrier, réparateur de grands plats en bois, matelassier ou encore «crieur public» (berrah) qui sillonnaient chaque jour les quartiers de la cité en quête de clients, se font aujourd'hui de plus en plus rares à une époque où la machine a pris le relais de l'homme. Hadj Lahcène, l'un des derniers vitriers qui continuent d'arpenter la capitale, est une figure bien connue des habitants d'El-Madania, de Bir Mourad Raïs ou de Kouba. Depuis plus de cinquante ans, il poursuit ses tournées à travers les rues d'Alger offrant à qui veut ses services. Il se rappelle, non sans une pointe de regret, les jours fastes où ce métier faisait recette et l'importance du vitrier en ces temps-là où il était pour ainsi dire l'homme providentiel dans l'urgence d'une vitre cassée. Ce métier, à l'agonie, est difficile car exigeant de son exécutant beaucoup de patience et de savoir-faire. Pour cet artisan, le métier de vitrier ambulant est appelé à disparaître inévitablement. Autre métier, autres déboires, la fabrication et la réparation des tamis et autre gassaâ (grand plat en bois) ou pilons en bois sont des métiers révolus, les femmes, ayant pour la plupart tourné le dos au travail harassant qui consistait à rouler soi-même son couscous. Ammi Boualem, 75 ans, est l'un d'eux. Il a appris, il y a 61 ans, le métier de réparateur de tamis, gassaâ et autres articles entrant dans la confection du couscous dans son village natal sur les hauteurs de Tizi Ouzou. «Après l'indépendance, j'ai continué dans cette voie pour nourrir ma famille qui compte neuf enfants mais le changement des mentalités a durement éprouvé cette activité devenue non lucrative», regrette le vieil homme. Boumetreg Tahar Ben Mohamed de Boufarik (Blida) a opté, quant à lui, pour la sauvegarde d'un métier d'un tout autre registre, «une mission d'information», dit-il, celle du berrah qui annonce uniquement les décès survenus dans le voisinage. De ruelle en ruelle, notre crieur fait part du décès, décline avec soin et précision la filiation du défunt et informe surtout de l'heure et du lieu de l'enterrement. Un métier plutôt rebutant dont beaucoup se passeraient et que Ammi Mohamed continue, malgré tout, de pratiquer au regard des liens sociaux et humains qu'il aide à préserver. Un autre berrah, Boumetref Tahar, surnommé Ammi Ahmed, 76 ans, est, lui aussi, de Boufarik où il est toujours sollicité pour annoncer les décès, une mission dont il mesure l'urgence pour permettre au plus grand nombre d'assister à l'enterrement. Ammi Ahmed est facilement joignable. Aux alentours des mosquées, au jardin y attenant ou au café, il est toujours là prêt à servir telle ou telle famille qui vient de perdre un être cher. Evoquant ses débuts dans ce métier, M. Boumetreg dit avoir débuté dans ce métier en 1975 en remplacement de son prédécesseur. Concernant l'avenir de cette activité, Ammi Tahar regrette déjà son inéluctable extinction. Et le vieil homme de dire, dans la foulée, toute sa déprime à l'idée qu'aucun berrah n'annoncera sa propre mort...