Réjouissance Massika marie son fils. Elle est comblée, elle qui pendant les 20 ans de captivité de Dahmane n?avait pas connu le repos. Elle regrettait même parfois les bons repas qu?elle faisait quand elle était invitée, songeant : «Voilà, je mange ce bon morceau de viande, tandis que mon pauvre Dahmane doit mourir de faim?», et la nourriture prenait dans sa bouche un goût amer. Fraîchement teints au henné, ses cheveux oints d?huile d?olive sont brillants, retenus sur les côtés par des barrettes et retombant en deux nattes sur ses épaules. Ses deux foulards serrés sur le front sont assortis à sa gandoura toute neuve, brodée à Annaba à la dernière mode. Sa belle-s?ur l?a obligée à enlever ses éternelles chaussures masculines, pour des mules de cuir légères, plus féminines et lui a mis autour du cou un de ses colliers. Tout émoustillée, elle entre fréquemment dans la chambre de son fils, qui sent le bois neuf, pour jeter un coup d??il sur sa silhouette reflétée par le grand miroir de l?armoire. Elle se contente de surveiller la préparation du repas de fête, sans rien faire d?autre. «Je suis la mère du ?arris? je ne travaille pas !» répétait-elle en souriant gaiement. Et à mesure que le temps passe, elle sent comme une grosse boule lui serrer la poitrine et elle court se rafraîchir le visage, plus rouge que jamais. «La mariée arrive, la mariée arrive !» Avant de sortir sur le seuil, un foulard rouge à la main qu?elle va agiter devant sa bru en signe de bienvenue, elle tourne la tête et aperçoit son fils par la fenêtre de la salle, s?éloignant à grands pas dans son élégant costume noir... Alors, Massika s?appuie contre la porte grande ouverte et entonne de sa voix forte, presque masculine : «Chaâri el bit, ya oum laâriss !» (ouvre grande ta porte, mère du marié). Les youyous fusent de toutes parts. Massika agite son foulard rouge de haut en bas, de son gros bras bronzé. De haut en bas... Elle regarde la femme de son fils Dahmane descendre de sa belle voiture dans sa robe blanche recouverte de son voile immaculé et avancer vers sa maison, entre deux jeunes filles tenant des bougies allumées. Des coups de fusils de chasse résonnent dans les airs... Le foulard rouge s?agite maintenant avec lenteur et tombe à terre, comme un oiseau blessé. Massika porte la main à son c?ur et s?écroule. La joie a été trop forte pour son vieux c?ur.