Touiza n Tandis que le repas cuit, elle vaque à ses affaires. Bientôt, un fumet délicieux lui indique que la viande est cuite ou presque. Le troisième conte kabyle que nous proposons à nos lecteurs s'intitule Ma mère m'a égorgé, mes hôtes m'ont mangé, ma sœur a réuni mes os. Ce conte, très populaire, a inspiré de nombreux poèmes et chansons, sur l'infortune d'un jeune garçon, victime de la cruauté des adultes. Autrefois, vivait un paysan avec sa femme et ses deux enfants : un garçonnet de quatre ans et une jeune fille de quinze ans, appelée Aïcha. Le paysan travaille durement. Or, cette année-là, la récolte est bonne et comme il n'a personne pour l'aider, il convoque, ainsi que la coutume l'exige, une touiza. La touiza est une très vieille institution qui recourt à l'aide communautaire : le travail est obligatoire et gratuit et chacun est tenu de faire la tâche qui lui est confiée. Comme l'exige la tradition aussi, celui qui demande la touiza, doit offrir aux hommes venus l'aider, un bon repas et, à l'époque, c'était un bon couscous à la viande. — Demain, dit-il à sa femme, je convoque une touiza. Tu prépareras un bon couscous à la viande pour nos hôtes ! L'homme s'est levé de bonne heure et s'est rendu au marché : il a acheté tout ce qu'il faut comme légumes et surtout un long chapelet de viande. De la bonne viande de bœuf, coupée en gros morceaux. La femme s'exclame : — Toute cette viande ! Et dire qu'elle sera mangée par des étrangers ! Nous ne pourrions pas enlever quelques morceaux pour nous ? — Non, dit l'homme, elle est pour la touiza, je t'interdis d'y toucher ! Il s'en va accueillir les ouvriers tandis que la femme prépare le couscous et la viande. Tandis que le repas cuit, elle vaque à ses affaires. Bientôt, un fumet délicieux lui indique que la viande est cuite ou presque. Elle abandonne son travail et va voir. Elle retire le long chapelet de viande, tout fumant. Elle en arrache un petit bout et le porte à la bouche. — Hum...c'est cuit ! C'est bon ! Elle retourne à ses affaires. Le fumet de la viande lui parvient, encore plus fort. Elle abandonne son travail et retourne à la marmite. Elle enlève le chapelet et le met dans un plat. Elle goûte un morceau. Puis, un autre, puis un autre. Puis elle mange goulûment toute la viande. Elle regarde le plat et elle s'écrie : — J'ai mangé toute la viande ! Il n'en reste plus... Il n'y a, au fond, que les os. Même les bouts de graisse, même les cartilages, elle les a avalés. Goulûment, voracement, comme une ogresse.... Elle ne se rendait pas compte de ce qu'elle faisait. Mais les ouvriers, le repas qu'il va falloir leur servir ? Son mari va lui demander où est passée la viande, et quand il saura qu'elle l'a mangée, il ne manquera pas de la répudier... Elle s'affole. — Que faire ! Que faire ! Elle regarde autour d'elle. — Qui peut m'aider ? (à suivre...)