Gratitude Elle se rappelle soudain que c?est à Dieu qu?elle doit cette immense joie. Jamais Massika n?a connu de joie aussi intense. ? Relis-moi la lettre, Mouna ma fille, depuis le début, n?oublie aucun mot ! Mouna regarde sa vieille voisine avec un large sourire. Le bon visage rougeaud de Massika rayonne et ses yeux sont encore humides des larmes de joie qu?elle n?a pu réprimer en apprenant la nouvelle. Dahmane, son fils, prisonnier au Maroc depuis près de vingt ans, lui a écrit une lettre lui annonçant sa libération prochaine. ? Je te ferai un beau cadeau, pour cette bonne nouvelle, Mouna, ya wajeh el-khir. ? Il a perdu vingt ans de sa vie entre quatre murs, mais tant pis, il revient chez lui et c?est l?essentiel. Massika se lève et tourne en rond, ne pouvant retenir sa joie. C?est une campagnarde solide, engoncée dans une gandoura de cotonnade fleurie qui contient difficilement ses formes généreuses. ?Ya saâdi, ya farhi ! Elle se donne de fortes tapes sur les cuisses. Dahmane, la lumière de mes yeux, va enfin rentrer ! Ah ! merci mon Dieu ! Et soudain, elle se rappelle que c?est à Dieu qu?elle doit cet immense bonheur et s?exclame, les yeux vers le plafond : ?Ya Rabi, merci de m?avoir laissée vivante pour voir ce jour heureux ! El-hamdoulillah ! Puis, laissant Mouna, la fille de sa voisine venue lui lire la lettre, elle s?éclipse dans le haouch pour faire ses ablutions et une prière de «reconnaissance». Elle est encore si émue qu?elle doit s?y reprendre à plusieurs reprises, sautant une sourate ou oubliant un rituel. Cette nuit-là, elle ne parvient pas à trouver le sommeil, se tournant et se retournant dans sa couche, elle qui avait l?habitude de ronfler aussitôt la tête sur l?oreiller ! «Je vais faire une fête pour son retour, dont on se souviendra pendant des années», songe-t-elle. «Il doit avoir quarante ans, maintenant? Oh ! mon Dieu, il doit avoir tellement hâte de revoir sa vieille mère? Je vais le marier, aussitôt rentré. Je ferai une seule fête pour son retour et pour son mariage...» Et Massika allongée sur son matelas, la main sous la joue, échafaude ses plans. «Je descendrai en ville pour tout acheter, et Mouloud montera tout dans sa camionnette... De la semoule, du sucre, du café, j?égorgerai deux moutons et un veau, car toute la mechta sera invitée et la famille entière...» Et Massika sourit dans le noir. «A elle seule, elle remplira la maison et el-haouch... Non !... je leur dirai de ne pas amener leurs enfants, ils sont trop bruyants, de véritables gloutons, il faut que je fasse les choses dans les règles de l?art... Personne ne pourra dire que Massika ?khzêt? son fils après vingt ans d?absence?» (à suivre...)