"Jusqu?à la lie" Ils sont nombreux à avoir goûté à l?amertume. Ils, ce sont les artistes, les écrivains et les sportifs. Victimes d?un exil intérieur, ils affrontent très souvent la maladie et le dénuement avant de mourir de leur seconde mort. Tout le monde se souvient du défunt Ahmed Wahbi qui a été magnifié par l?Entv après sa mort alors qu?il n?a même pas été assisté dans les deux épreuves qui l?ont terrassé : la mort de son épouse et celle de son fils. La chanteuse Zoulikha a connu le même sort. Elle qui était obligée de se déplacer à l?entreprise de télévision et à celle de la radio pour solliciter une aide, alors que la maladie la rongeait. Qui se souvient de H?nifa, cette artiste qui a chanté l?exil et la condition de la femme, deux thèmes tirés de sa vie d?écorchée vive ? Après avoir bu le calice jusqu?à la lie, H?nifa s?est éteinte loin de son pays, oubliée de tout le monde. Mais la mort n?est peut-être pas la pire chose qui puisse nous arriver, le mépris pouvant tuer mille fois. Quoi de plus humiliant pour un chanteur que d?être obligé de vendre des légumes au marché après avoir été adulé par les foules ? C?est le cas de Hadj Menouer qui a fini sa vie en tant que portier à l?ex-RTA dans les années 1970. Pourtant, aujourd?hui encore, les mélomanes se délectent de ses chansons. La comédienne Salima Tony était hospitalisée pendant que le feuilleton dans lequel elle tenait un petit rôle était diffusé sur nos écrans. On ne l?a appris qu?à l?annonce de sa mort qui a fait ressortir, comme à l?accoutumée dans pareilles circonstances, les qualités de la disparue et le fait qu?elle ait eu un rôle dans un film français. Il était écrivain et exerçait en même temps le journalisme, «un métier de seigneur» comme il le qualifiait. Lui, c?est Ahmed Azeggagh, mort récemment des suites d?une leucémie qui a désagrégé peu à peu sa vie. Il croyait, après l?indépendance, «à des lendemains qui chanteraient» mais c?est la désillusion qu?il a rencontrée. Après de longues années d?exil, l?écrivain est revenu au pays pour renouer avec le métier qu?il aimait pour ne rencontrer, encore une fois, que désillusion. L?être tourmenté et passionné par le thème de la folie n?a jamais eu le bonheur de voir ses ?uvres dans les librairies de son pays. Un sort qui n?a pas épargné Mohamed El-Hadi Dehbal, journaliste, poète et auteur. Cloué sur une chaise roulante par une terrible maladie, il vivait grâce à ses confrères et s?est éteint après une longue souffrance. Il en existe certainement d?autres dont le lot est l?ingratitude et l?oubli. Car, comme disait quelqu?un, «l?Algérien a la mémoire courte». Mais les pouvoirs publics, eux, ont une vision courte. R. M.