Le jardinier du sultan vient de découvrir que l'un des pêchers de la plantation a donné naissance prématurément à un fruit particulièrement beau et quelque peu plus grand que nature ; le sultan, ayant été sollicité à venir admirer ce fruit, donna ses instructions à son jardinier de bien surveiller l'arbre et de lui présenter ce fruit une fois devenu mûr, et c'est ainsi que l'ouvrier veilla à cet arbre attentivement, jour et nuit, allant jusqu'à prendre ses repas sur place pour ne pas le perdre de vue. Un jour, il fut surpris par un aigle qui vint se percher sur l'arbre créant un grand fracas : la branche où pendait le fruit fut cassée et la pêche tomba par terre ! Tout attristé par cet incident, le jardinier s'empressa de rapporter au sultan ce fâcheux événement, mais à sa grande surprise le roi ne se montra pas contrarié et lui répondit : «ne t'en fais pas, cet aigle en aura pour son acte.» Quelques mois plus tard, le jardinier surprit une grosse couleuvre sur le même arbre en train de dévorer l'aigle, lequel fut peu à peu entièrement englouti ; il alla sur le champ en informer le sultan qui lui répondit sur le même ton : «cette couleuvre en aura pour son acte !» Au cours de la même année, alors que notre jardinier est en pleine besogne, il se rendit compte qu'il venait de couper la tête de la couleuvre par un coup de pelle, alors que ce gros reptile était enfoui dans le sable ! Croyant avoir remporté un exploit, il alla raconter son aventure au sultan ; celui-ci lui répondit sobrement : «tu en auras pour ton acte !» Cet événement fut à peine oublié que les gardes du sultan préviennent un jour tous les ouvriers travaillant dans la plantation de devoir quitter les lieux, car le harem viendra se baigner dans la piscine. C'est ainsi que sitôt dit, sitôt fait, tout le monde déserta les lieux sauf notre jardinier qui n'a pas eu écho de ces instructions. Alors qu'il faisait une paisible sieste à l'ombre d'un arbre situé près de la piscine, il vit un groupe de femmes venir dans sa direction ! Sentant le danger et craignant pour sa vie, il grimpa sur l'arbre et se cacha sous les branches ; dans cette position, il put admirer un beau spectacle de femmes nues se baignant et s'amusant dans la piscine, quand tout à coup, ayant découvert son existence, ces femmes s'affolèrent, sortirent de l'eau en remettant en hâte leurs voiles et en laissant échapper des cris stridents ! Les gardes accourent, emportent le jardinier et l'enferment. La reine avisa le sultan qui prononça sur le champ l'arrêt de mort à l'encontre du pauvre jardinier. Le lendemain matin, jour d'exécution de la sentence, le bourreau conduisit le condamné à l'échafaud et entreprit les préparatifs nécessaires à l'accomplissement de son œuvre. S'adressant au condamné, il lui dit : «quel est ton dernier vœu ? - Si vous le permettez, j'aimerais bien être reçu par le sultan, j'aurais à lui dire juste un petit mot, répondit le jardinier.» En présence du roi, le jardinier se permit de dire : «Sire, je suis condamné à mort malgré mon innocence, j'implore votre indulgence.» Le sultan ne voulut rien entendre ; alors, au jardinier d'ajouter : «Sire, c'est bien Votre Majesté qui m'avait dit un jour que l'aigle, ayant cassé le pêcher, en aura pour son acte, que la couleuvre qui a dévoré l'aigle en aura pour son acte et que moi en aurai aussi pour mon acte pour avoir tué la couleuvre. Sire, vous venez de me condamner à mort injustement, vous en aurez également pour votre acte !» Ayant entendu ce discours, le sultan s'empressa alors, dans un sentiment de colère mitigée, de libérer le jardinier.