Olivia Sainthill, la voisine des Plugging, est réveillée en sursaut ce matin du 10 avril 1878. Quelqu'un frappe violemment à sa porte : — Mrs Sainthill ! Mrs Sainthill ! Olivia met un bon moment à prendre conscience de ce qui se passe. Elle dormait et rêvait. D'un seul coup, elle oublie presque tout son rêve. Un rêve où un ange venait la chercher pour l'emmener afin de comparaître pour le jugement dernier. — Mrs Sainthill ! Soudain, Olivia réalise que l'ange de son rêve possède la voix de son voisin : Ronald Plugging. Et cet ange n'a pas le ton qui conviendrait pour vous convier à affronter le jugement dernier. La voix de M. Plugging trahit une panique, une détresse qui donnent le frisson. Olivia sort de son lit. Elle prend la peine d'enfiler une robe de chambre fleurie avant d'ouvrir la porte qui donne sur ce petit jardin banal du pays de Galles. — Monsieur Plugging ! Qu'est-ce qui vous arrive ? Quelle heure peut-il être ? Ronald Plugging ne répond pas, il tend ses mains vers Olivia Sainthill : deux mains qui dégoulinent de sang. Il empoigne le col de la robe de chambre et Olivia voit des traces sanglantes qui maculent son vêtement. — Monsieur Plugging, que se passe-t-il ? Le ton d'Olivia est si ferme que Ronald tombe à genoux sur les marches du palier. Il pleure et Olivia met un moment à comprendre ce qu'il dit : — Mon petit Ronald ! Il est mort ! Je viens de le tuer ! Aidez-moi ! Venez vite ! Ronald Plugging est un homme de 27 ans. Pour Olivia c'est un voisin charmant, jeune marié, adorant sa femme et son bébé, le petit Ronald, à peine âgé de 18 mois. Pourquoi ce voisin charmant tuerait-il le bébé qui fait sa joie ? Le ménage Plugging, honorablement connu dans la petite ville de Southernmill, fait l'envie de tout le voisinage. Plugging, le père, gagne convenablement sa vie, fréquente le temple méthodiste, câline femme et enfant. Bon fils, bon mari, bon père. Olivia se demande si on ne lui joue pas une comédie de mauvais goût. Est-elle en train de se débattre dans un cauchemar ? Mais quand elle descend deux marches, elle trébuche sur Ronald et tombe lourdement à terre : pas de doute, elle vit un drame au cœur de la nuit. Ronald supplie : — Allez chez moi ! Allez voir mon pauvre petit bébé, mon pauvre petit Ronald ! Olivia, toujours à terre, demande — Mais qui a fait ça ? — C'est moi ! répond Ronald. C'est moi, dans mon sommeil ! Olivia se remet péniblement sur pied et fonce vers la maison des Plugging. La porte est grande ouverte et de la lumière sort du corridor. En s'approchant, Olivia perçoit un long gémissement. Immédiatement, elle reconnaît la voix, pourtant déformée par la douleur, de Margaret Plugging, l'épouse de Ronald. Olivia hésite un peu avant d'entrer. Que va-t-elle trouver dans cette maison jusque-là heureuse ? Au rez-de-chaussée rien d'anormal. D'ailleurs la voix gémissante de Margaret provient du premier étage, là où se trouve la chambre à coucher du couple. Dans la chambre Olivia découvre, éclairée par la lampe à pétrole, Margaret, en chemise de nuit, effondrée sur le parquet. Sa chemise est couverte de sang. Dans ses bras elle tient son bébé, Ronald Junior, ou du moins ce qu'il en reste... D'un seul coup d'œil Olivia, matrone expérimentée, constate que le bébé est agité de convulsions. Son crâne n'est qu'une plaie...sanglante... et ses petits bras pendent lamentablement. Parfois, il semble faire un geste désarticulé. Dans un angle de la chambre le berceau de l'enfant est renversé et à demi démantibulé. Olivia remarque avec horreur que le papier fleuri des murs de la chambre à coucher est maculé de longues traînées sanglantes. Des traînées et des taches éclatées... comme si l'on avait écrasé avec violence un fruit trop mûr. Olivia demande : — Margaret, que s'est-il passé ? (à suivre...)