C'était, enfin, moi qui leur apprenais les chants patriotiques. Si Moussa me dit : «commence à chanter. Tu dois en avoir la force.» Mais les paroles ne voulaient pas sortir de ma gorge, toujours nouée par une horrible boule. Si Moussa, encore une fois faussement bourru, m'interpella vivement : «allons Si Cherif !» Nous avons alors commencé par la chanson «Fidaou El Djazaïr», pour enchaîner sur «Djazaïrouna», puis «Alleyki Mini Essalem». Chacun de nous pleurait à chaudes larmes en scandant ces chants patriotes, les ressentant comme jamais auparavant. Nous avons terminé par la chanson «fila leka ya ikhouani» (ce qui signifie en gros, ce n'est qu'un au revoir mes frères, nous nous reverrons un jour Inch'Allah). Cent sept moudjahidine, faisant partie de l'élite de l'ALN, qui ont réussi maintes fois à faire trembler les troupes coloniales, nettement supérieures en effectifs et en armes, pleuraient à présent à chaudes larmes, sans se soucier le moins du monde des apparences. Jamais, non jamais, je n'oublierai ce jour pénible de séparation avec ces compagnons, ces frères, qui étaient devenus toute ma famille. Mes compagnons étaient tous de braves et de vaillants combattants, sur lesquels il était toujours possible de compter. Ils étaient jeunes, courageux et connaissaient mieux que personne le sens du sacrifice pour la liberté de leur cher pays, l'Algérie. Preuve en est que bon nombre d'entre eux n'ont pas vécu assez longtemps, confrontés qu'ils étaient à des combats permanents et de plus en plus durs avec l'ennemi, pour connaître l'indépendance tant désirée, advenue le 5 juillet 1962. Si Moussa avait tout prévu pour que mon départ et la prise de mes nouvelles fonctions se passent sans accrocs. Ainsi, j'avais sur moi mon ordre de mission, tandis qu'un agent de liaison était également prêt. Le guide devait m'emmener jusqu'au secteur de Cherchell. Si Moussa me dit alors : «Si Cherif, c'est aussi pénible pour toi que pour moi. Nous ne pouvons rien y faire. je suis obligé de te demander de me remettre ta mitraillette. En contrepartie, je te donnerai un pistolet.» je ne pouvais rien lui dire. Je connaissais la règle pour l'avoir moi-même appliquée à mon défunt compagnon, Si Brahim Brakni. Mais, j'étais terrifié à l'idée de devoir partir sans ma mitraillette, cette fidèle compagne, qui m'a sauvé la vie tant de fois. Que faire contre l'ennemi avec un vulgaire pistolet ? Je me retrouvais ainsi dans la même situation pénible que mon compagnon, le Chahid Brakni Braham. Celui-ci, avant de partir vers sa nouvelle affectation pour la confection des tenues militaires, avait dû laisser son fusil Garant en échange d'un pistolet. Je comprends pourquoi Si Brakni, par la suite, a profité d'un accrochage sur lequel il était tombé par hasard pour tenter de mener un assaut, à l'aide d'un simple pistolet et récupérer ainsi un fusil ou une mitraillette. Devant les centaines de paras qui lui faisaient face, mû par une audace et un courage sans pareil, il tenta de s'emparer d'une arme plus efficace que celle qu'il détenait. (à suivre...)