Résumé de la 1re partie n En son absence Barbe Bleue l'autorise à recevoir ses amies, mais la met en garde de ne point ouvrir le cabinet au bout de la grande galerie... Elle fut si pressée de sa curiosité que sans considérer qu'il était malhonnête de quitter sa compagnie, elle y descendit par un petit escalier dérobé, et avec tant de précipitation qu'elle faillit se rompre le cou deux ou trois fois. Etant arrivée à la porte du cabinet, elle s'y arrêta quelque temps, songeant à la défense que son mari lui avait faite et considérant qu'il pourrait lui arriver malheur d'avoir été désobéissante, mais la tentation était si forte qu'elle ne put la surmonter : elle prit donc la petite clef et ouvrit en tremblant la porte du cabinet. D'abord, elle ne vit rien parce que les fenêtres étaient fermées ; après quelques moments, elle commença à voir que le plancher était tout couvert de sang caillé et que dans ce sang gisaient les corps de plusieurs femmes mortes et attachées le long des murs (c'étaient toutes les femmes que Barbe Bleue avait épousées et qu'il avait égorgées l'une après l'autre). Elle pensa mourir de peur et la clef du cabinet qu'elle venait de retirer de la serrure lui tomba de la main. Après avoir un peu repris ses esprits, elle ramassa la clef, referma la porte et monta à sa chambre pour se remettre un peu, mais elle n'en pouvait venir à bout tant elle était émue. Ayant remarqué que la clef du cabinet était tachée de sang, elle l'essuya deux ou trois fois, mais le sang ne s'en allait point ; elle eut beau la laver, et même la frotter avec du sablon et avec du grès, il y demeura toujours du sang, car la clef était magique, et il n'y avait pas moyen de la nettoyer tout à fait : quand on ôtait le sang d'un côté, il revenait de l'autre. Barbe Bleue revint de son voyage le soir même et dit qu'il avait reçu des lettres en chemin, qui lui avaient appris que l'affaire pour laquelle il était parti venait d'être terminée à son avantage. Sa femme fit tout ce qu'elle put pour lui témoigner qu'elle était ravie de son prompt retour. Le lendemain, il lui redemanda les clefs, et elle les lui donna. Mais d'une main si tremblante qu'il devina sans peine tout ce qui s'était passé. — «D'où vient, lui dit-il, que la clef du cabinet n'est point avec les autres ?» — «Sans doute», dit-elle, «que je l'ai laissée là-haut sur ma table.» — «Ne manquez pas», dit Barbe bleue, «de me la donner tantôt.» Après l'avoir retardé le plus possible, il fallut apporter la clef. Barbe Bleue, l'ayant examinée, dit à sa femme : — «Pourquoi y a-t-il du sang sur cette clef ?» — «Je n'en sais rien», répondit la pauvre femme, plus pâle que la mort. — «Vous n'en savez rien», reprit Barbe Bleue, «je le sais bien, moi ; vous avez voulu entrer dans le cabinet ! Eh bien, Madame, vous y entrerez et irez prendre votre place auprès des dames que vous y avez vues.» Elle se jeta aux pieds de son mari en pleurant et en lui demandant pardon avec toutes les marques d'un vrai repentir de n'avoir pas été obéissante. Elle aurait attendri un rocher, belle et affligée comme elle était, mais Barbe Bleue avait le cœur plus dur qu'un rocher : — «Il faut mourir, madame, lui dit-il, et tout à l'heure.» (à suivre...)