Pour un combattant accoutumé aux frissons du danger, il y a certaines promotions et prises de grade qui sont ressenties comme des sanctions – ce qui, il faut l'avouer, était un peu mon cas à ce moment-là. J'ai passé des moments avec ces frères combattants dont le destin, ainsi que l'était le mien peu de mois auparavant, était au bout de leurs fusils... Une nuit merveilleusement évocatrice, corsée au rythme du récit des combats livrés à l'ennemi, parfumée à l'odeur puissante du djebel : poudre, sang et sueur mêlés, éléments quotidiens d'une vie bercée par de longues et interminables marches à pas forcés, entrecoupées de haltes rapides, juste le temps de faire semblant d'avaler quelques brûlantes cuillerées de couscous campagnard et de dormir, en se préparant à reprendre avant l'aube la route d'autres horizons de lutte... Le lendemain après-midi, un habitant du douar Siouf, près du village de Taza-Trollard (actuellement Bordj Emir-Abdelkader), vint dire au chef de la compagnie, Si Larbi, qu'une partie de l'armée bellouniste, commandée par Slimane Bouhmara, avait pris ses quartiers au douar Siouf. Si Larbi, les chefs des sections de la katiba et le chef de la section des moussebiline avaient décidé d'aller attaquer cette nuit même les bellounistes au douar Siouf. Si Boualem, de Belcourt, chef de section, qui était tombé malade, ne pouvant prendre part à cette mission, je me suis alors proposé de commander sa section, en lui demandant de me remettre son arme, une mitraillette MAT 49, tout en lui remettant le pistolet P38 que j'avais récupéré dans la grande bataille de Molière (Boucaïd), dans l'Ouarsenis. A six heures du soir, à la tombée de la nuit, nous nous sommes dirigés vers le douar Siouf. Après trois heures de marche, nous avons traversé la route nationale venant de Khemis Meliana à Theniet El-Had, nous sommes passés pas loin du village général Goureau. II faisait froid, à cause d'un vent glacial qui soufflait sur la région. Ma section était au milieu de la katiba, avançant rapidement en file indienne avec un intervalle de 3 à 4 mètres entre chaque homme. Après 4 heures de marche, j'ai commencé à me dire que quelque chose n'allait pas bien dans cette action... Je me souciais du fait qu'on n'ait pas élaboré un plan tactique et stratégique pour garantir le succès de cette opération, d'autant plus que nous étions supposés partis pour attaquer des harkis bellounistes qui avaient trouvé asile dans les maisons des habitants du douar Siouf. Précédé par le guide civil, Si Larbi marchait en tête de file, à quelque 50 ou 60 mètres devant moi, ce qui m'obligea à faire un petit sprint pour le rejoindre. Marchant côte à côte avec lui, je lui ai dit tout de suite : «Si Larbi, où allons-nous donc comme ça, à l'aveuglette, sans plan précis et bien arrêté ? - Ne t'en fais pas, Si Cherif, me répondit-il, pour ma part, j'ai tout prévu. Avant d'arriver au douar Siouf, je vous exposerai le plan d'attaque et la mission assignée à chaque chef de section.» (à suivre...)