Justine Ménard vit seule dans un logement triste et lépreux, au troisième étage d'un pavillon d'une banlieue poussiéreuse. La voisine du dessous est scandalisée parce que Justine a un fils et que ce fils, qui vient la voir à bord d'une confortable voiture, la laisse seule dans ce deux pièces minables. Et aujourd'hui, la voisine constate que Justine ne peut plus se lever de son lit. — Madame Ménard, qu'est-ce qui vous arrive ce matin ? — Je n'ai plus de force dans les jambes. Ce n'est rien, ça va passer. C'est le changement de temps. On dirait des crampes. — Je vais appeler le docteur. C'est bien le docteur Vineuil qui vous soigne, celui qui habite juste en face ? — Mais non, ne le dérangez pas. Ça va encore faire des frais, des médicaments qui ne me feront rien. Ça ira mieux demain. — N'empêche, vous m'inquiétez. C'est la première fois que ça vous arrive ? — Non, non, ne vous inquiétez pas, madame Faivre. — J'ai fait du pot-au-feu, je vais vous en monter avec du bouillon. Une nuit de sommeil et vous vous trouverez bien mieux. — Ce que je vais vous demander, madame Faivre, c'est de passer chez le boucher pour prendre un peu de viande pour Galopin. Il sait ce que je prends d'habitude. — Ah, c'est vrai, il y a Galopin. Pauvre bête ! Qu'est-ce qu'il va devenir si vous ne pouvez plus vous lever ? Qu'est-ce que je fais avec sa viande ? Je la lui donne crue ou je la passe un peu à la poêle ? — Un peu cuite avec du riz. Tenez, il y en a un paquet sur l'étagère. Galopin, un gros corniaud au long poil hirsute, couché au pied du lit, a entendu son nom. Il remue la queue en regardant alternativement sa maîtresse et Mme Faivre. Son regard déjà fatigué est plein de tendresse et de confiance. — Et votre fils, madame Ménard, vous allez le prévenir ? — Non, absolument pas ! Gilles a ses propres problèmes, sa femme et ses enfants. Je ne tiens pas à ce qu'on le dérange. Je vais me rétablir. Et la voisine du dessous repart en hochant la tête. Elle sait ce qu'elle doit faire. En effet, au début de la semaine suivante un visage nouveau fait son apparition dans le jardinet, un peu abandonné, qui entoure le pavillon. — Mme Ménard, s'il vous plaît, c'est bien ici ? — Oui, je suis sa voisine, Mme Faivre. Mme Ménard est au-dessus. C'est à quel sujet ? — Je suis l'assistante sociale. C'est vous, je crois, qui avez prévenu le bureau à la mairie ? — Oui, c'est exact ! Dans l'état où elle est, je ne sais plus comment faire. Mes visites quotidiennes et le petit ménage que je fais chez elle ne suffisent plus. Elle a un fils qui a une très bonne situation. Il faut qu'il la prenne chez lui. C'est pour ça que je vous ai demandé de venir la voir. Je vais vous accompagner, c'est moi qui ai les clefs. D'ailleurs, il est l'heure de sortir Galopin. — Galopin ? — C'est son chien, un gros corniaud. Sa seule compagnie ! D'une démarche ankylosée, Mme Faivre grimpe les escaliers, suivie par l'assistante sociale qui examine avec un dégoût un peu blasé les taches d'humidité sur les murs de l'escalier. — Madame Ménard, c'est moi, Mme Faivre, voilà une visite pour vous. Justine Ménard, assise dans un vieux fauteuil Voltaire, les jambes recouvertes d'un plaid écossais délavé, regarde par la fenêtre sans voir le paysage. Elle considère avec étonnement l'inconnue qui suit sa voisine. — Oui ? C'est pourquoi ? — Je suis Mlle Arbessier, du service social. Quelqu'un nous a suggéré de vous rendre une petite visite pour savoir si tout va pour le mieux. Les personnes de votre âge ont parfois besoin d'un petit coup de main. C'est peut-être une démarche à effectuer, un droit à faire valoir. Vous pourriez peut-être bénéficier d'une aide de la mairie, être invitée à l'arbre de Noël. (à suivre...)