Ces onze familles vivent dans une sous-humanité telle que l'observateur appelé par elles à la rescousse pour « témoigner de leur sort et d'alerter el houkouma », en est tout retourné. Elles logent au 9 rue Emile Zola en une habitation plus connue sous le nom de Haouch Benyamine. A raison d'un loyer allant de 500 à 2500 DA, ces familles s'entassent dans une ou deux pièces par famille dans une intenable promiscuité. Leurs miteux logis sans fenêtres, captent la lumière d'une courette où trône un WC commun vers lequel on ne s'aventure qu'après avoir fait un instant le guet. Pour rappel, cette habitation avait été marquée au rouge après le séisme de fin 1999 et promise en conséquence à la démolition. Elle avait été ensuite rétrogradée à l'orange et classée habitable moyennant confortement. Une question se pose alors : Où est passé l'argent du contribuable censé avoir été accordé pour conforter la bâtisse ? Pis le mur mitoyen d'une dépendance de la mosquée du Saint patron de la ville, une mosquée elle confortée, menace de s'écrouler les habitants du haouch. Par mesure de précaution, une vaine précaution, les couches sont étalées à l'autre bout des pièces. Une autre interrogation s'impose, ce haouch même consolidé, est et était un lieu de la plus haute insalubrité, pourquoi a-t-on laissé d'autres mal ou non logés, l'occuper ? Pourquoi alors qu'à travers les nouvelles cités, des logements sociaux sont sous-loués, attribués de notoriété publique pour certains à des émigrés et d'autres inoccupés par leurs attributaires ? Quels ont été les résultats des commissions d'enquête mises en place pour récupérer ces logements mal attribués ? Toujours est-il que les onze familles du haouch Benyamine, elles, sans entregent, endurent un calvaire de tous les jours, un supplice qui s'aiguise comme en ces jours-ci où les eaux pluviales s'invitent dans leurs misérables réduits. Derbal Rahmouna vit dans une pièce. Son vieil époux, grabataire, est allongé sous une tonne de couvertures. Il a supplié les voisins de le laisser mourir lorsque l'eau a submergé sa litière. Ses deux enfants de 24 et 25 ans vont l'un et l'autre chez de la famille pour se caser momentanément lorsque cela n'est plus tenable. Murs lépreux Rahmouna a été recalée à l'attribution d'un logement social parce qu'elle aurait déjà bénéficié d'un. Elle jure par tous les Saints, Sidi Saïd en tête, qu'elle n'a jamais bénéficié de rien. « T'en fais pas, il a été passé à un autre en ton nom », lui assure une voisine. « Mais comment puis-je leur prouver que je n'ai rien eu ! Et personne à l'houkouma ne veut m'écouter ». Comment se fait-il qu'aucune administration ou institution ne se soit autosaisie de sa déclaration ? Houaria qui élève deux filles de 16 et 17 ans, vit elle aussi dans un cagibi, le plafond dégoulinant d'eau, les murs lépreux comme partout chez les voisins. « Les pompiers sont venus cette semaine constater les dégâts. Ils ont dit qu'ils allaient faire un rapport à qui de droit. Ce qui de droit a été averti de quoi ? Nous n'en savons rien. Mais en tout cas, personne n'est venu s'enquérir de notre sort » explique l'épouse de Mejdoub Absesselam absent lors de notre visite. « Quand il pleut, à la première étincelle d'un fil, nous sommes obligés d'éteindre et de rester dans le noir », explique Cherfaoui Fatima. L'épouse de Frih Ahcène se plaint de l'état de santé des siens depuis les sept années où ils sont venus s'enterrer au haouch Benyamine. Partout les centenaires faux plafonds de plâtre et de roseau sont en lambeaux. Les hommes sont embarrassés par le dévoilement de la situation de déchéance des leurs, contrairement aux femmes qui font preuve d'une fureur à tout étaler. Elles, elles n'ont plus cure de tout amour propre. Elles sont au-delà de toute détresse. Il leur suffit que le regard innocent de leurs enfants soit déjà gorgé de frustrations et de mal être.