InfoSoir : Nous assistons à chaque ramadan à une série d'arrestations contre des non- jeûneurs... Maître Zehouane : Au lendemain de l'Indépendance, même la génération sortie de la Guerre de Libération n'a jamais contesté ceux qui ne jeûnaient pas. Dans la capitale, certains restaurants étaient ouverts durant le ramadan et cela ne posait aucun problème. Des ailes étaient réservées aux non-jeûneurs jusque dans les restaurants universitaires, et cela ne posait pas de problème. Chacun vivait sa foi. Si on part de la même considération, demain on arrêtera dans la rue des gens qui, à l'heure de la prière, ne se rendront pas à la mosquée ou alors des personnes riches qui ne pratiquent pas la zakat ou ne vont pas au pèlerinage. Au niveau de l'argumentation, ça ne tient pas la route. Les libertés individuelles reconnues dans la Constitution de notre pays ont été bafouées, et c'est là le problème de fond. C'est la Constitution qui doit défendre la tolérance. Pourquoi aujourd'hui accuse-t-on des personnes qui ont été obligées de se soulever pour revendiquer un droit ? Les libertés individuelles sont un droit censé être protégé par la loi. Et s'il y a au niveau de la société, même majoritaire, des courants intolérants, l'Etat n'a pas à suivre ou subir l'émeute. Ce sont des droits reconnus par tous et l'Etat doit les protéger. L'Etat doit protéger les Algériens quelles que soient leurs croyances. Les non-musulmans vivant en Algérie doivent être également protégés. Des juristes ont considéré qu'il y a eu atteinte à l'Islam... Ce sont là des faits surprenants, dont la recrudescence nous inquiète. Cette situation exprime un état d'intolérance au sein de la société et signifie qu'aujourd'hui l'idéologie intégriste revient. Le plus inquiétant, c'est que ces mesures ont été prises sur instruction des pouvoirs publics. Des procureurs de la République ont agi par eux-mêmes, spontanément. Ces actions, à mon avis, n'ont aucune base légale. Nous avons constaté, également, que les textes de loi ont été dénaturés, en l'occurrence l'article 144 bis alinéa 2 du code pénal, lié à l'ordre public et à l'atteinte au Prophète Mohammed (Qsssl) et aux principes de la religion. Le fait de manger durant le ramadan discrètement chez soi ou dans un local, en quoi cela outrage-t-il le Prophète Mohammed (Qsssl) et les préceptes de l'islam ? L'Algérie étant une République démocratique et populaire, que la Constitution garantit la liberté de croyance et qu'elle proscrit toute discrimination fondée sur la religion, le sexe, la race, l'origine ethnique et la profession, à quel titre donc engage-t-on ces dispositions (…) ? Que se passe-t-il, donc, dans la tête des responsables algériens ? Le non-jeûne est vécu par certains comme de la provocation... Ce n'est pas le cas. A Akbou, les jeunes ont mangé dans un lieu privé et clos et les ouvriers de Aïn El-Hammam ont rompu le jeûne en buvant de l'eau sur le lieu de leur travail. La provocation est venue du côté de la police qui les surveillait et non pas du côté des non-jeûneurs... Voilà le fond du problème. Où est la provocation pour un croyant convaincu du sacrifice du mois de ramadan ? Sauf pour certains qui prennent cela pour un dogme imposé. Quelqu'un qui a vraiment la foi ne peut se sentir provoqué par des non-jeûneurs. Au contraire, il faut porter le jeûne comme une adhésion au commandement divin, l'assumer avec ferveur et foi. Selon les préceptes de la charia, si une personne est en état d'être provoquée par les non-jeûneurs, cela veut dire qu'elle ne porte pas sa foi sincèrement. Le jeûne doit se faire par conviction. Si certains ne sont pas capables de résister face à quelqu'un d'autre qui mange, cela veut dire qu'ils sont de mauvais jeûneurs, voire des hypocrites. * Président de la Ligue pour la défense des droits de l'homme (LADDH).