Pionniers Cheb Khaled et cheb Mami ont réussi à imprimer le raï dans la mentalité de la société algérienne et ont ouvert la voie aux nouvelles et jeunes voix. De nos jours, l?on remarque une ascension fulgurante de ce genre musical. Cependant, la quantité est nettement plus marquée que la qualité. Car la chanson raï n?est plus ce qu?elle était autrefois. «Avant, c?était el-bedoui dans le genre de cheikha Rimiti, puis, plus tard, ce genre musical, propre à l?Oranie, a évolué, il s?est développé avec Raïna Raï qui, en le modernisant, l?a associé à des instrumentations occidentales. L?on a commencé à parler de raï», explique Réda Kheznadji, musicien à l?orchestre symphonique de la Radio nationale et chef du ch?ur Amel el-Djazaïr. Il ajoute : «Avec Raïna Raï, l?on assiste en effet à la naissance du raï dans les années 1970. Raïna Raï a fait une recherche dans la musique et aussi dans les paroles. Sa musique, du rock mêlé à el-bedoui, savamment modernisé, est soignée, intellectuelle et de bonne facture.» Il précise : «Il faut distinguer deux sortes de raï, celui qui s?est inscrit dans l?universalité avec cheb Khaled et cheb Mami, et qui est un raï recherché, professionnellement arrangé par des grands musiciens, enregistré dans des grands studios et avec les nouvelles technologies. C?est un raï hérité de Boutaïba qui, lui, faisait dans la pop raï. Ensuite, il faut discerner le raï "du synthé, de la derbouka et de la boîte à rythmes", au lieu d?un orchestre constitué de musiciens avertis ; c?est un raï sans normes, sans substrat, sans substance, une musique sans base, loin d?être étudiée ou recherchée. Un assemblage de paroles et de notes. Cette catégorie de raï est représentée par la nouvelle vague de chanteurs.» Il faut souligner que même la musique arabo-andalouse traverse une crise de l?esthétique. «C?est vrai que nous assistons seulement à la reprise des noubas, qu?il n?y a pas de nouvelles créations musicales. Certes, nous ne pouvons pas imaginer d?autres noubas, mais nous pouvons, en revanche, créer d?autres compositions dans le style andalou. Et s?il n?y a pas un travail qui se fait dans ce sens, c?est parce qu?il n?y a pas d?école de création, il y a uniquement une école d?application. Nous appliquons littéralement ce que les anciens nous ont légué, nous nous livrons au mimétisme. L?andalou n?a jamais fait l?objet de rénovation ni de création. Il y a eu cependant quelques tentatives de le sortir du traditionalisme, de l?améliorer pour l?inscrire dans l?universalité. Ce travail de restauration, disons plutôt de réactualisation, a été fait par les regrettés Abdelwahab Salim (chef de l?orchestre symphonique national) et Boudjemia Merzak (chef d?orchestre symphonique de la Radio nationale), qui ont interprété l?andalou avec des instruments classiques. Et si l?andalou reste, jusqu?à présent, prisonnier du vieux carcan, c?est parce qu?il est sacralisé par les conservateurs.» La crise de l?esthétique a affecté tous les autres styles de musique, comme le chaâbi, le hawzi, l?aroubi et même le kabyle et le staïfi. La musique algérienne dans ses différents genres connaît une véritable crise de l?esthétique en raison d?un manque de recherche, d?étude et de réflexion menées avec soin et dans un intellectualisme sérieux et consistant. «La musique est exercée non pas par des connaisseurs et des professionnels, elle est interprétée par des amateurs», explique encore Réda Kheznadji. Et de conclure : «Les musiciens n?ont pratiquement aucune connaissance profonde et savante de leur instrument. Car l?instrument est d?abord une approche. Il faut savoir l?entretenir, l?affectionner. Et pour réussir une création, il faut soigner le message et la musique.»