"Rebelles" Ils s?appellent cheb Abdou, cheb Billal, cheba Kheïra, etc. Ils chantent l?amour, le sexe, la douleur et la passion. En somme la vie de tous les jours en lâchant, bride à toute retenue dictée par la morale. Ils sont les idoles des nouvelles générations. Ils brisent les tabous avec des mots crus, insolents, indécents aux yeux de certains, qui trouvent, néanmoins, une oreille attentive auprès d?une jeunesse écorchée vive à la recherche de ses repères. Emergeant des bas- fonds de la société algérienne, le raï est un genre musical qui cartonne et fait même de la concurrence au rap, au funk et au rythm & blues. Les autres genres musicaux tels le châabi ou le haouzi ont du mal à aller sur ses brisées. Certains le comparent à la saoul-music, car il sort, estiment-ils, des tripes et s?abreuve du cocktail détonant «désarroi, douleur et mal vie». D?autres, caustiques et acerbes trouvent que cette musique est vulgaire, car elle provient des milieux de débauche. Les plus avertis reconnaissent au raï le mérite d?avoir été un rempart de résistance, face à l?obscurantisme et la tentative d?asservissement du peuple algérien car, c?est au plus fort du terrorisme islamiste, admettent-ils volontiers, que cette musique a explosé et est sortie des méandres de l?inconnu, en dépit de l?environnement hostile à toute forme d?expression en dehors du discours religieux. Marginalisé pendant longtemps et confiné dans les cabarets et les endroits malfamés, le raï a su pénétrer les maisons et dépasser les frontières. Les ambassadeurs de ce chant, à l?image des khaled et Mami, boudés et traités de tous les noms d?oiseaux, dans leur propre pays au début de leur carrière, sont devenus des stars adulées, défilant sur les plus prestigieux podiums internationaux. En tentant de faire le parallèle avec les musiques du monde, la musique raï ressemblerait au rock and roll s?agissant du rejet qui a suivi son accueil par les puritains et les conservateurs. L?Amérique s?en est trouvée bouleversée et par la suite le monde occidental. L?effort revient à ces promoteurs qui en ont fait une musique de dimension mondiale. En effet, flairant la bonne affaire, les big-boss de Beverly Hills se sont emparés du phénomène. Son ascension fut fulgurante. Chez nous, le raï reste l?apanage des petites boîtes de production qui engrangent des fortunes colossales, d?autant plus que le marché est ouvert et enregistre une forte demande. Cette situation attise les appétits des maisons d?enregistrement qui privilégient les interprètes des chansons raï aux autres chanteurs. Les pouvoirs publics n?ont pas encore compris l?importance du phénomène, ni son impact sur une jeunesse fragile et dés?uvrée. Selon certains observateurs, le phénomène est délaissé par la tutelle. Il y a eu, certes, des initiatives dans un passé récent visant à sortir le raï de son carcan, mais elles n?ont pas abouti bien loin. L?on se souvient du premier festival de raï «officiel» en 1985, perçu comme un événement, auquel ont assisté bon nombre d?artistes arrachés aux estrades des cabarets, pour venir célébrer le raï. Ce dernier a réussi, grâce à une poignée d?hommes qui y croyaient dur comme fer, par gagner sa place dans le paysage musical. Le raï fascine, révolte et dérange. Qu?on aime ou qu?on n?aime pas, c?est un fait, il s?est imposé comme la musique qui touche des milliers de fans. Elle est l?exutoire des frustrations et des fantasmes, mais c?est surtout un rythme sur lequel on danse et on se trémousse pendant les fêtes et les soirées organisées. Au-delà de toute considération morale ou religieuse, le raï reste un genre musical exclusivement algérien et donc un élément important du patrimoine collectif. S?il déchaîne les passions, c?est que quelque part, il traduit un malaise social. Il n?a donc pas fini de faire des vagues.