Au commencement, était le froid, le froid sec, vif, piquant, pénétrant, impitoyable de février. Il gelait à pierre fendre et tous grelottaient, tremblotaient, frissonnaient en dépit des écharpes, des moufles, des bonnets. Certains plus frigorifiés encore que d'autres s'enrhumaient, souffraient de gerçures, de crevasses ou d'engelures. Des visages étaient plus pâles que des draps. Ce jour-là, le maître qui surveillait la récréation avait les mains gourdes, les pieds insensibles, la chair de poule. Machinalement, il se mit à battre la semelle pour se réchauffer un peu. Plusieurs enfants l'observèrent, s'en amusèrent, puis se mirent à l'imiter. Ainsi naquit une sorte de ronde qui les combla de joie. Ils allaient de plus en plus vite, ils riaient de l'espèce de musique qu'ils créaient de la sorte. Les corps tout entiers participaient à la danse. Jour après jour, ils ajoutèrent quelques mouvements des mains, des bras, des hanches, des épaules, de la tête. Ils mêlèrent à leur jeu jusqu'aux plus jeunes et aux plus âgés de l'école, jusqu'aux surveillants. Clap, clap, clap, clap. «Allez. Venez. Dansez avec nous. Réchauffez-vous.» Clap, clap, clap, clap. Certains eurent l'idée d'apporter de vieilles marmites et d'assortir la danse de judicieux tambourinages réalisés du plat de la main. Certains ajoutèrent des baguettes pour que le résultat de leurs frappes constitue une plus grande harmonie sonore. Clap, clap, clap, clap. Aux heures de récréation, les sons se faisaient entendre jusqu'au-delà du bourg. Puis ils résonnaient encore dans les têtes des heures durant. Un tel rythme mettait de bonne humeur, rendait nettement moins frileux, bravait la froidure, la bise glaciale, les frimas. De village avoisinant en village avoisinant, se propagea cette nouvelle occupation enfantine. Clap, clap, clap, clap. Début mars arriva avec son soleil timide, ses fleurs sur le point d'éclore. Jaunes, bleues, blanches, les fleurettes montrèrent le bout du nez. Jacinthes, jonquilles, narcisses, crocus, primevères apparurent plus rapidement dans la région que partout ailleurs dans le pays. La lumière solaire y fut plus généreuse. Les premières hirondelles choisirent, elles aussi, de s'installer là. Chacun y alla de sa petite ou grande explication, selon son imagination, son intelligence des choses et sa sensibilité. (A suivre...)