Résumé de la 2e partie n Anselme a comme une influence secrète qui lui fait voir des choses fabuleuses auxquelles personne ne croit... L'épaisseur des ténèbres de cette nuit orageuse ne me laissait rien distinguer ; mais lorsque l'artillerie eut passé et qu'un silence profond remplaça le lugubre roulement des canons, lorsqu'un léger murmure se fit entendre auprès de moi, et qu'un des lourds madriers se souleva sous mes pas, un froid glacial se répandit dans mes veines, et dans l'horreur que j'éprouvais, je demeurai immobile et comme cloué à la place que j'occupais. Un vent froid s'éleva et, chassant les masses noires qui se déployaient au-dessus des montagnes, laissa briller quelques pâles rayons de la lune à travers les déchirures des nuages. J'aperçus alors, non loin de moi, la figure d'un vieillard de haute taille, la tête couverte de longs cheveux blancs, qui rejoignaient une barbe grise. Il portait un manteau court et étroit, et son bras nu soutenait un long bâton blanc, qu'il étendait au-dessus du fleuve. Il me sembla que c'était lui qui murmurait et qui se plaignait ainsi. Au même moment, des armes brillèrent à l'extrémité du pont, et des pas mesurés se firent entendre. Un bataillon français traversa le pont dans le plus profond silence. Le vieillard commença alors une chanson plaintive, et tendit son bonnet comme pour quêter une aumône. — Voilà saint Pierre qui veut pêcher, dit un grenadier. Un des soldats, qui marchait dans le rang suivant, s'arrêta en disant : — Eh bien ! moi, pécheur, je l'aiderai à pêcher ! et il jeta une pièce de monnaie dans le bonnet du vieillard, qui le remercia par une sorte de hurlement. Plusieurs officiers et plusieurs soldats lui firent en silence l'aumône, et chaque fois il les salua par ce hurlement singulier. — Enfin, un officier, que je reconnus pour le comte Lobau, accourut si près du vieux mendiant que je craignis de le voir fouler aux pieds du coursier écumant du général. Le comte Lobau se tourna vivement vers un adjudant, et lui demanda d'une voix brusque, en raffermissant sur sa tête son chapeau vacillant : — Qui est cet homme ? les cavaliers qui le suivaient s'arrêtèrent subitement, et un vieux sapeur barbu qui marchait hors des rangs, sa hache sur l'épaule, répondit d'un air insouciant : — C'est un pauvre maniaque bien connu ici ; on l'appelle saint Pierre le pêcheur. Le convoi continua de défiler, non pas joyeusement et au milieu des saillies grivoises que faisaient entendre les soldats français dans leurs marches, mais dans un sombre découragement. Dès que le dernier bruit des pas s'éteignit, dès que le dernier éclat des armes se fut effacé dans l'ombre, le vieillard se tourna lentement, et leva son bâton avec dignité, comme s'il eut voulu commander aux flots agités du fleuve, qui murmuraient d'une voix toujours plus puissante. Je crus de nouveau entendre parler près de moi. — Michaël Popowicz ! Michaël Popowicz... ne vois-tu pas le fanal ? criait-on d'en bas en langue russe. Le vieillard murmura quelques paroles, il semblait prier ; tout à coup il s'écria à haute voix : — Agafia ! et au même moment, son visage fut éclairé d'une clarté soudaine, qui s'élevait au-delà de l'Elbe. (A suivre...)