Pouls Entrer dans Bab el-Oued, c?est pénétrer le c?ur d?Alger et d?une population «rebelle». Dans ce vieux quartier populaire qui grouille de vie, il est aisé de tâter le pouls des citoyens, notamment en prévision d?un événement comme la prochaine élection présidentielle. Une longue balade dans les rues et venelles du quartier nous montre que cette échéance est loin de constituer un rendez-vous très attendu par la population. Rebelle comme à son habitude, Bab el-Oued semble tourner le dos à la campagne électorale. Quitte à ressasser une image déjà connue de tous les Algériens, ce mouvement de foule qui emplit les rues rappelle toujours à quel point Bab el-Oued tient à la vie, en dépit des malheurs qu?elle a connus. Lorsqu?on y évolue, on remarque à quel point les gens ici restent attachés à tout ce qui fait la réputation de leur quartier : les bruits familiers, les odeurs, les va-et-vient incessants. Le reste importe peu à leurs yeux, car convaincus d?être depuis longtemps marginalisés et laissés-pour-compte. Le regard des candidats qui tente de se détacher des affiches afin d?accrocher celui des passants bute sur l?indifférence de ces derniers. Encore que seuls les portraits des deux «frères ennemis» se côtoient dans certaines rues, avec quelquefois un «intrus» qui glisse son large sourire et ses grosses lunettes entre les deux. Pour l?heure, seuls les murs sont chargés de faire un clin d??il aux électeurs potentiels, au détriment des panneaux restés pratiquement vides quatre jours après le début de la campagne. Des bribes de discussions saisies au vol font ressortir d?autres préoccupations. Nous surprenons la conversation d?un groupe de jeunes qui évoquent des enjeux liés à l?argent de la campagne électorale. «Les cinq candidats savent qu?ils n?ont aucune chance, mais ils ne vont pas dépenser 1,5 milliard de centimes.» A Basta-Ali, un octogénaire s?arrête et regarde des affiches lacérées. «Je me demandais juste pourquoi elles ont été déchirées», indique le vieux. Cette vieille femme, elle, nous fait comprendre qu?elle s?intéresse beaucoup plus à ce qu?il y a dans son couffin. «J?aide mes fils chômeurs à survivre. Le reste m?est égal», déclare-t-elle. Aux Trois-horloges, un groupe de vieux discute, le dos tourné aux affiches. Devant l?entrée du marché du même nom, deux femmes fouillent dans les déchets, tentant de trouver ce qui peut être encore comestible. L?une d?elles réussit à dégager une salade, qu?elle nettoie avant de la mettre dans son sachet. Rue Bouder, des vendeurs à la sauvette ont investi la chaussée. Derrière eux, des eaux nauséabondes coulent dans le caniveau, gênées dans leur mouvement par des détritus et des emballages de toute sorte. Un commerçant sort de sa boutique et tente de dégager le passage à l?aide d?un bâton. Une fuite d?eau s?y mêle. Elle provient de la rue de l?Alma. «Cela fait des mois que ça dure», nous dit un commerçant en vêtements pour enfants, qui ajoute qu?une réparation «bâclée» a été effectuée il y a quelques jours, ce qui explique que la fuite continue. «Ne me parlez pas d?élections, je suis hors jeu», clame-t-il, en colère. «Nous n?avons ni APC ni maire. C?est l?anarchie totale. Quel élu accepterait une telle situation ?» s?interroge-t-il. En face de sa boutique, une montagne de gravats et une tôle sont là depuis 4 mois, ce qui a encouragé les habitants de cette rue à transformer le trottoir en dépotoir. Partout, les travaux de réparation des bâtiments ayant souffert des inondations et du séisme traînent en longueur. Bab el-Oued est devenu un chantier, les rues sont encombrées de matériaux de construction et de sacs de gravats éventrés.