Résumé de la 2e partie n Le soldat prussien grossit tellement qu'il ne peut plus entrer dans son uniforme... Ils étaient devenus, d'ailleurs, les meilleurs amis du monde ; et quand le vieux allait à ses affaires dans les environs, le Prussien l'accompagnait de lui-même pour le seul plaisir d'être avec lui. Le temps était rigoureux ; il gelait dur ; le terrible hiver de 1870 semblait jeter ensemble tous les fléaux sur la France. Le père Antoine, qui préparait les choses de loin et profitait des occasions, prévoyant qu'il manquerait de fumier pour les travaux du printemps, acheta celui d'un voisin qui se trouvait dans la gêne ; et il fut convenu qu'il irait chaque soir avec son tombereau chercher une charge d'engrais. Chaque jour donc il se mettait en route à l'approche de la nuit et se rendait à la ferme des Haules, distante d'une demi-lieue, toujours accompagné de son cochon. Et chaque jour c'était une fête de nourrir l'animal. Tout le pays accourait là comme on va, le dimanche, à la grand-messe. Le soldat, cependant, commençait à se méfier et, quand on riait trop fort il roulait des yeux inquiets qui, parfois, s'allumaient d'une flamme de colère. Or, un soir, quand il eut mangé à sa contenance, il refusa d'avaler un morceau de plus ; et il essaya de se lever pour s'en aller. Mais Saint Antoine l'arrêta d'un tour de poignet, et lui posant ses deux mains puissantes sur les épaules il le rassit si durement que la chaise s'écrasa sous l'homme. Une gaieté de tempête éclata ; et Antoine radieux, ramassant son cochon, fit semblant de le panser pour le guérir ; puis il déclara : «Puisque tu ne veux pas manger, tu vas boire, nom de Dieu !» Et on alla chercher de l'eau-de-vie au cabaret. Le soldat roulait des yeux méchants ; mais il but néanmoins ; il but tant qu'on voulut ; et Saint Antoine lui tenait la tête, à la grande joie des assistants. Le Normand, rouge comme une tomate, le regard en feu, emplissait les verres, trinquait en gueulant : «A la tienne !» Et le Prussien, sans prononcer un mot, entonnait coup sur coup des lampées de cognac. C'était une lutte, une bataille, une revanche ! A qui boirait le plus, nom d'un nom ! Ils n'en pouvaient plus ni l'un ni l'autre quand le litre fut séché. Mais aucun d'eux n'était vaincu. Ils s'en allaient manche à manche, voilà tout. Faudrait recommencer le lendemain ! Ils sortirent en titubant et se mirent en route, à côté du tombereau de fumier que traînaient lentement les deux chevaux. La neige commençait à tomber, et la nuit sans lune s'éclairait tristement de cette blancheur morte des plaines. Le froid saisit les deux hommes, augmentant leur ivresse, et Saint Antoine, mécontent de n'avoir pas triomphé, s'amusait à pousser l'épaule de son cochon pour le faire culbuter dans le fossé. L'autre évitait les attaques par des retraites ; et, chaque fois, il prononçait quelques mots allemands sur un ton irrité qui faisait rire aux éclats le paysan. A la fin, le Prussien se fâcha ; et juste au moment où Antoine lui lançait une nouvelle bourrade, il répondit par un coup de poing terrible qui fit chanceler le colosse. (A suivre...)