Résumé de la 1re partie n Saint Antoine prend soin du soldat prussien qu'on lui a confié. Il le nourrit plus qu'il n'en faut et l'appelle «mon cochon».. Et le soldat, comprenant seulement qu'on voulait le faire manger tout son soûl, riait d'un air content, en faisant signe qu'il était plein. Alors Saint Antoine, devenu tout à fait familier, lui tapa sur le ventre en criant : «Y en a-t-il dans la bedaine à mon cochon !» Mais soudain il se tordit, rouge à tomber d'une attaque, ne pouvant plus parler. Une idée lui était venue qui le faisait étouffer de rire : «C'est ça, c'est ça, Saint Antoine et son cochon. Voilà mon cochon !» Et les trois serviteurs éclatèrent à leur tour. Le vieux était si content qu'il fit apporter l'eau-de-vie, la bonne, le fil-en-dix, et qu'il en régala tout le monde. On trinqua avec le Prussien, qui claqua de la langue par flatterie, pour indiquer qu'il trouvait ça fameux. Et Saint Antoine lui criait dans le nez : «Hein ? En voilà de la fine ! T'en bois pas comme ça chez toi, mon cochon.» Dès lors, le père Antoine ne sortit plus sans son Prussien. Il avait trouvé là son affaire, c'était sa vengeance à lui, sa vengeance de gros malin. Et tout le pays, qui crevait de peur, riait à se tordre derrière le dos des vainqueurs de la farce de Saint Antoine. Vraiment, dans la plaisanterie, il n'avait pas son pareil. Il n'y avait que lui pour inventer des choses comme ça. Il s'en allait chez les voisins, tous les jours après-midi, bras dessus bras dessous avec son Allemand qu'il présentait d'un air gai en lui tapant sur l'épaule : «Tenez, voilà mon cochon, regardez-moi s'il engraisse, cet animal-là !» Et les paysans s'épanouissaient. «Est-il donc rigolo, ce bougre d'Antoine !» «Je te le vends, Césaire, trois pistoles. — Je le prends, Antoine, et je t'invite à manger du boudin. — Mais, ce que je veux, c'est de ses pieds. — Tâte-lui le ventre, tu verras qu'il n'a que de la graisse.» Et tout le monde clignait de l'œil, sans rire trop haut cependant, de peur que le Prussien devinât à la fin qu'on se moquait de lui. Antoine seul, s'enhardissant tous les jours, lui pinçait les cuisses en criant : «Rien que du gras» ; lui tapait sur le derrière en hurlant : «Tout ça de la couenne» ; l'enlevait dans ses bras de vieux colosse capable de porter une enclume en déclarant : «Il pèse six cents, et pas de déchet.» Et il avait pris l'habitude de faire offrir à manger à son cochon partout où il entrait avec lui. C'était là le grand plaisir, le grand divertissement de tous les jours : «Donnez-lui de ce que vous voudrez, il avale tout.» Et on offrait à l'homme du pain et du beurre, des pommes de terre, du fricot froid, de l'andouille qui faisait dire : «De la vôtre, et du choix.» Le soldat, stupide et doux, mangeait par politesse, enchanté de ces attentions ; se rendait malade pour ne pas refuser ; et il engraissait vraiment, serré maintenant dans son uniforme, ce qui ravissait Saint Antoine et lui faisait répéter : «Tu sais, mon cochon, faudra te faire faire une autre cage.» (A suivre...)