Rêve n Son père veut en faire un médecin renommé, mais lui rêve de devenir marin, de sillonner les mers et de connaître le monde… L'année 1877 ; monsieur et madame Charcot donnent une réception dans leur résidence parisienne. Il y a du monde, mais surtout des savants et des professeurs de l'université. Jean-Martin Charcot est lui-même professeur à l'université de Paris où il détient la chaire d'anatomie pathologique. Et depuis 1862, il exerce à l'hôpital de la Salpêtrière. Charcot est déjà célèbre par ses travaux sur l'hystérie, l'hypnose et divers troubles neurologiques. Bien entendu, il sera beaucoup question de science et de médecine à la réception du docteur Charcot, mais on parlera aussi d'autres sujets notamment de politique. et en cette année, le devant de la scène est occupé par la mort d'Adolphe Thiers, haï par la gauche pour avoir réprimé dans le sang la commune, loué par la droite pour laquelle, après l'humiliante défaite de 1870 face à l'Allemagne, il a restauré la grandeur de la France. Mais comme la science et la politique ne passionnent pas tout le monde, on parle aussi de banalités, de choses quotidiennes. Le professeur Charcot, lui, parle de son fils, Jean-Baptiste qui vient d'avoir dix ans. — C'est un enfant très doué, dit-il à ses invités, nous en ferons certainement un médecin ! — Il vous succédera à la chaire de médecine, dit en riant un invité. — et pourquoi pas au siège de l'Académie des sciences ? fait un autre. — Nous ferons en sorte que cela soit ainsi, dit le professeur. — nous voudrions bien voir le jeune homme ! — Il doit être quelque part, en train de lire… Le jeune Jean-Baptiste est, en effet, en train de lire. Ayant horreur des réceptions, il s'est retiré dans sa chambre et s'adonne à son activité favorite, la lecture. Mais il ne s'agit pas d'ouvrages de vulgarisation, comme on pourrait s'y attendre d'un futur médecin, mais d'ouvrages d'aventures, comme on devrait s'y attendre d'un jeune garçon. Jean-Baptiste Charcot est passionné, plus exactement, par les aventures maritimes. La mer le passionne depuis son jeune âge et il n'arrête pas de collectionner les images qui s'y rapportent. Il dessine aussi des bateaux, des plages, des océans en furie. Et ces dessins, on les retrouve aussi sur ses cahiers d'écolier. D'ailleurs ses maîtres se sont souvent plaints à son père, mais on a beau le gronder, il recommence dès que le maître a le dos tourné. «Jean-Baptiste, Jean Baptiste, implore sa mère, quand vas-tu cesser ces enfantillages ? — ce ne sont pas des enfantillages, maman, j'aime réellement la mer ! — Tu l'aimes au point de remplir tes cahiers de dessins ? — C'est plus fort que moi, maman ! — mon petit, tu dois te concentrer sur tes études, travailler durement pour être, un jour, comme ton père ! — je ne veux pas être médecin ! — Chut ! ton père pourrait t'entendre et se fâcher ! — je ne veux pas être médecin, maman, je veux être marin, commander un bateau, sillonner les mers… — ne ruine pas ses rêves ! — et moi ? pourquoi ne tiendrait-il pas compte des miens ? (A suivre...)