Sétif Février 2004. Une femme, les yeux hagards, répète inlassablement : «Non, monsieur le président, je n?ai pas tué mon enfant.» Y a-t-il plus bel événement que celui de donner la vie ? Existe-t-il un bonheur plus absolu que celui de mettre au monde un enfant ? La personne la mieux placée pour répondre à ce genre de questions est sans nul doute la mère. Aussi, dans cette salle de tribunal, par cette froide matinée de février 2004, une ultime question se lit dans les regards de gens, venus nombreux assister à ce procès complexe : «Une mère serait-elle capable d?étrangler de ses propres mains la chair de sa chair ?» Il est clair qu?il est impensable d?inoculer ce genre de doute dans un esprit sain? Mais quand le doute semble être une évidence, qui croire et qui incriminer ? Est-ce la mère qui ment ? La sage-femme, le mari ou le personnel de la clinique ? Qui ment ? Qui dit la vérité ? Un quiproquo qui sème la gêne, la compassion, le doute et la tristesse dans ce tribunal qui tente, tant bien que mal, d?élucider une mort sans témoins, sans preuves et avec beaucoup d?incertitudes? Fatiha, les traits tirés, le teint terne, fixe l?assistance et répète inlassablement, comme une litanie : «Je n?ai pas tué ma fille.» Les faits de cette affaire remontent à une chaude journée de juillet 2001. Fatiha, maman de trois fillettes et d?un garçon en bas âge, grimace de douleur. Elle est enceinte et se prépare à accoucher, et seule la perspective de donner naissance à un garçon l?emplit de bonheur et l?aide à supporter l?intolérable douleur qui la tenaille depuis plusieurs heures. Le bébé arrive et la déception atteint son comble. En effet, sur le visage de Fatiha, on lit la tristesse, la déception qui pousse trop souvent l?être humain à commettre l?irréparable? C?est en tout cas ce que semble vouloir insinuer la sage-femme présente au cours du procès. Et c?est avec un calme pointu qu?elle répond aux questions que l?on lui pose : «L?accouchement s?est-il déroulé facilement ? ? Il y a eu quelques difficultés, comme c?est le cas dans de telles circonstances? ? Quelle a été la réaction de la mère lorsque vous lui avez appris qu?elle venait de mettre au monde un enfant de sexe féminin ? ? Une réaction très violente ! Cette femme, que vous voyez devant vous, a même refusé de donner un prénom à son propre enfant sous prétexte qu?elle n?avait que faire d?une fille ! Le souvenir que je garde de sa réaction me donne encore la chair de poule.» (à suivre...)