«Personne ne nous appelait du bled avant que je devienne footballeur professionnel» Dieu que c'est dur d'interroger un jeune footballeur binational qui a la possibilité de choisir entre la France et l'Algérie ! Après les difficultés qu'on a eues par le passé avec certains, nous voilà encore avec le même disque et les mêmes paroles, à tenter de convaincre ces jeunes loups à rallier la meute des Verts ! Cette fois, l'affaire concerne essentiellement le quatuor, composé de Sofiane Feghouli, Yacine Brahimi, Ishak Belfodil et Yanis Tafer. Ont-ils tort d'opter pour une stratégie carriériste ? A chacune de nos tentatives, ces joueurs se cabrent comme des chevaux indomptés, soucieux de garder leurs distances de ces Algériens qui les veulent dans leur haras indésirable, bien que retapé et flambant neuf. Mais apparemment, cela ne suffit pas à nos chers étalons qui estiment plutôt indignes nos écuries, préférant les étables français qui leur promettent de belles courses, dans des champs largement plus vastes et verdoyants. Ce qui a tendance à nous vexer profondément. Au point de nous pousser à décider de nous détourner définitivement de ces jeunes qui nous refusent sans oser le dire, en laissant une toute petite fenêtre ouverte par pudeur, en cas de besoin. Mais, ont-ils vraiment tort d'opter pour cette stratégie de carriériste ? Face à la pauvreté, on mise tout sur le petit dernier qui joue bien au foot Mettons-nous un moment à la place de ces jeunes pour tenter de comprendre les sentiments qui les animent. Pour ces gamins, à peine sortis de l'adolescence, il y a un facteur commun qui se manifeste en eux, celui de l'envie de réussir leur rêve de footballeur et ce, quel que soit le chemin à prendre. Eux, tout comme leurs parents, se rappellent parfaitement des sacrifices consentis en famille avant d'atteindre ce niveau. Le papa se retrouve souvent obligé d'arrêter son travail, se contentant des seuls revenus versés par l'Etat (ANPE ou, au mieux, les ASSEDIC). La vie devient extrêmement dure, allant jusqu'à fragiliser la relation entre le père et la mère de ces jeunes footballeurs, dont personne ne se soucie à ce moment-là, que ce soit du côté algérien ou français. Et, à défaut de pouvoir se sortir de cette misère par d'autres moyens, on mise tout sur le petit dernier qui donne l'impression de jouer assez bien au football… «Personne ne nous appelait du bled avant que je devienne footballeur professionnel» C'est cela qui fait durcir le cœur des jeunes qui se retrouvent propulsés malgré eux, à un rôle de sauveur de la famille. Loin de leur famille, le caractère change et se forge, forcément. Esseulé et livré à lui-même, l'enfant apprend vite que la vie ne fait pas de cadeau et que seul compte pour lui le travail au quotidien. Plus tard, il ne devra sa réussite qu'à ses propres sacrifices. Surtout si la famille du bled rejette à son tour les cousins émigrés qui viennent se la péter en été avec leur friperie. «Aucun membre de notre famille en Algérie ne nous appelait avant que je devienne footballeur international. Ma mère faisait du ménage et aucun de mes oncles ne se souciait de savoir si on manquait de quelque chose. On devenait comme des pestiférés et maintenant que je suis international algérien, tout le monde voudrait se rapprocher de nous, comme par enchantement», nous révélait un des joueurs, à ses débuts en sélection. «Personne n'aurait refusé de jouer pour l'équipe de France», avoue cet international algérien Un de ses coéquipiers enchaîne d'un angle légèrement différent. «Je voulais réussir pour acheter une maison à mes parents et les sortir de la pauvreté qui détruisait peu à peu notre famille. Mes parents étaient sur le point de divorcer à cause de cette situation», nous révèle tristement cet international algérien qui veut garder l'anonymat. «Mon père me criait à la figure tous les jours lorsqu'il me raccompagnait dans sa vieille voiture. C'était pour me corriger mes défauts et me pousser à en faire plus. Avec lui, chaque entraînement et chaque match étaient une coupe du monde. Il fallait que je joue mieux que les autres, sinon il m'en mettait plein la figure. C'était vraiment chaud, à tel point que j'avais envie d'arrêter le sport», explique-t-il les yeux encore rageurs. «Je suis sûr que si j'avais reçu une convocation chez les Bleus, je n'aurais jamais joué pour l'Algérie», soutien-t-il franchement. «Il ne faut pas se leurrer, personne n'aurait refusé de jouer chez les A en équipe de France», assène-t-il encore Pourquoi leur mettre le couteau sous la gorge ? Ces aveux montrent clairement la tragédie dans laquelle baignent ses mômes, à qui on veut, aujourd'hui, faire des procès d'intention. Ishak Belfodil, par exemple, est un enfant dont les parents ont émigré dans les années 90, à la recherche d'une vie meilleure en France. Il faut être juste et reconnaître que l'Algérie les a rejetés en ne leur proposant comme solution de survie que l'exil. Et, aujourd'hui que leur gamin est en train de réussir dans le haut niveau, on veut lui mettre le couteau sous la gorge pour qu'il vienne jouer de force pour les Verts. Trouvez-vous cela normal ? Non, si on veut voir la réalité en face. Car en France, si ces jeunes réussissent mieux, c'est surtout grâce à un système bien huilé, qui produit autant de footballeurs de haut niveau, que le nôtre n'en produit de «chèvres à deux pattes». Pourquoi leur demander alors d'aller à l'encontre de leurs intérêts, sachant qu'ils ont beaucoup plus de chance de réussir une carrière meilleure en jouant chez les Bleus que pour les Verts ? La fierté de voir son père bomber le torse dans son douar natal ! Mais, ce serait injuste et réducteur d'en rester là, sans se soucier du volet affectif de la question. Car, bien que l'Algérie présente encore une façade un peu terne et que tous les défauts du monde soient dans nos gènes, rien ne remplace la fierté de faire plaisir à tout un peuple qui vous tend des bras grands ouverts. Oui, rien ne vaut cet instant où les parents retournent chez eux, dans leur douar natal, en bombant le torse devant les cousins et les amis qui viennent les féliciter comme des stars, pour ce que leur fils a réalisé pour son pays. Ces moments-là, les jeunes ne les découvrent qu'une fois avoir joué leur premier match avec le maillot algérien. Des sensations d'extrême bonheur, que seule une victoire avec les Verts peut vous procurer. Ces footballeurs n'en prennent conscience réellement qu'une fois qu'ils ont osé dire oui à l'Algérie. Et cela ne se monnaie, évidemment pas ! En Algérie, on ne vous jugera jamais pour votre couleur de peau ! Car c'est cela qui vous fait grandir, en même temps que toute votre famille, aux yeux de votre vrai peuple. Celui qui ne vous jugera jamais pour votre couleur de peau, ni pour votre patronyme arabe. Il est clair que pour certains, Mohamed ne sera jamais le frère de sang de François, quelles que soient le nombre d'années passées ensemble. Sarkozy en personne vient de le prouver en menaçant tous les Africains exilés en France de les destituer de leur nationalité française, dans certains cas de figure. Ce qui ne sera jamais le cas en Algérie, car personne ne pourra vous enlever cet acquis sanguin ! En France, même s'ils ont fréquenté la même école, le même quartier, les différences se manifesteront inévitablement, entre Yacine et Matthieu, dès lors qu'il s'agira de postuler pour le même travail. A moins d'être Zidane… Mais on ne le dira jamais assez, il n'y aura qu'un seul Zizou ! Et cela, Yanis, Ishak, Yacine et Sofiane doivent se le répéter inlassablement pour ne pas commettre l'erreur qui rendra la vie difficile à leurs parents. Le regard des parents tombera à vie en cas d'échec Car, en cas d'échec, ces derniers auront beaucoup de mal à affronter les regards de leurs cousins du bled. Comme c'est le cas de Camel Meriem qui donne, aujourd'hui, moins envie que pitié. Il y a de fortes chances que les papas de Feghouli, Belfodil, Tafer et Brahimi aient eu les mêmes sentiments qu'on a aujourd'hui, à l'encontre de leurs enfants, vis-à-vis de Zidane, lorsque celui-ci avait opté pour la France. Mais le jour où ça leur tombera sur la tête, ils changeront d'avis et se persuaderont qu'ils ont fait le bon choix, fut-il exclusivement de raison. Ils prendront exemple sur la famille de Zizou, en répétant inlassablement qu'ils garderont dans un coin du cœur, toute leur affection pour le pays de leurs racines. Mais comment peut-on garder de l'affection pour un pays qu'on n'a pas envie de servir ? Ou alors, comptera-t-on, une fois de plus, sur un titre de champion du monde qui leur donnerait la certitude que l'Etat algérien tentera de récupérer politiquement, une fois de plus un de ses enfants, pour narguer l'ancien colonisateur ? Les temps vont sans doute changer un jour. Du moins on l'espère… En Algérie, personne ne leur imposera de chanter l'hymne national de force, comme le promet Laurent Blanc ! Car, dans le cas contraire, ces gamins bénéficieront toujours de cette fenêtre donnant vue sur la mer Méditerranée, dont les vagues leur permettront de surfer à l'envi, sur une hypocrisie régnante, qui a fini par lasser totalement les deux peuples. Car des deux côtés, on a envie que cela cesse définitivement. Les Français ne veulent plus voir de joueurs arabes refuser d'entonner la Marseillaise et qui supportent, plutôt que de porter fièrement, ce maillot national, bleu, blanc et rouge. Laurent Blanc a même promis d'obliger ses joueurs à la chanter de force. Du côté algérien, on a aussi marre d'attendre une réponse de second choix, de la part de joueurs frustrés et revanchards, qui se rabattent sur le maillot vert, à défaut d'atteindre le beau bleu de leurs rêves inavoués. Entre temps, les deux pays se livrent une bataille acharnée pour tenter de récupérer, par tous les moyens possibles, leur bien commun. La guerre d'Algérie se poursuit à cause de ces trésors, mais cette fois, heureusement sur un terrain de… foot. C'est au moins cela de gagné pour les deux peuples !