InfoSoir : Pourquoi les jeunes diplômés tardent-ils à trouver un emploi ? Quelles sont les raisons du décalage entre la formation et le secteur de l'emploi ? Le Pr Mebtoul : Il y a une double raison. Premièrement, il y a inadéquation du système socio-éducatif avec l'appareil de production. Deuxièmement, l'appareil économique reposant sur la connaissance est relativement faible (comme dans le secteur du bâtiment,des travaux publics ou du commerce). Ce qui explique d'ailleurs le faible taux de croissance globale de l'économie algérienne. Cette inadéquation explique l'importance de la fuite des cerveaux. Or, un pays qui se vide de ses cerveaux, c'est comme un corps humain qui se vide de son sang. De nombreux, jeunes diplômés chôment pendant plusieurs années et sont donc obligés d'occuper un poste qui ne correspond pas à leur profil... Ce sont de fausses solutions ! Juste pour éviter l'implosion sociale. Ce sont ce qu'on appelle des emplois rente qui concourent rarement à la création de la valeur ajoutée. Or, des salaires versés sans contrepartie productive accélèrent l'inflation que l'on comprime artificiellement en Algérie par des subventions, mais qui ne peuvent être que transitoires, donnant un taux officiel qui ne colle pas avec la réalité économique autant que le taux de croissance et le taux de chômage. Comme ces subventions aux entreprises publiques déficitaires de plus de 50 milliards de dollars entre 1971/2010, alors que les effectifs dans le secteur public économique sont d'environ 500 000, dont moins de 200 000 dans le secteur industriel public. Le gouvernement algérien vient d'annoncer 16 milliards de dollars en 2011, alors que plus de 70% sont revenus à la case de départ. Quel gaspillage ! Surtout que des investissements neufs auraient créé des centaines de milliers d'emplois productifs dans le cadre de la concurrence internationale. Que faut-il faire pour résoudre l'équation de l'adéquation ? Le grand problème pour l'Algérie est de passer d'une économie de rente à une économie hors hydrocarbures fondée sur la bonne gouvernance et la valorisation de la connaissance. Et ce, au sein d'une économie ouverte d'autant plus que nous sommes à l'ère de la mondialisation. Force est de reconnaître qu'il n'existe pas de véritable stratégie dans ce domaine, la réalité étant contraire aux discours politiques. Comment qualifiez-vous le marché de l'emploi en Algérie ? La qualité de la population active avec celle des emplois exercés fait apparaître un déséquilibre. Quel est votre commentaire à ce sujet ? Les officiels ont annoncé un taux de chômage en baisse d'environ 11% en 2010. Or, dans ce taux sont inclus les sureffectifs des administrations, des entreprises publiques, les emplois temporaires de moins de 6 mois et la sphère informelle qui contrôle plus de 40% de la masse monétaire en circulation et qui emploie plus de 30% de la population active. Redresser ce taux dépasse en vérité 20% globalement et pour la jeunesse de certaines wilayas déshéritées plus de 40%. Le taux d'emploi, et c'est une loi économique, est fonction du taux de croissance et des structures de productivité. Or, le taux de croissance actuel, en moyenne de 3% à 4% entre 2007/2010, est relativement faible comparé à la dépense publique. Selon certains apports internationaux 2008/2010, l'Algérie dépense deux fois plus que des pays similaires pour avoir un résultat deux fois moindre. Cela renvoie à la mauvaise gestion, au gaspillage des ressources financières, à la corruption qui s'est généralisée et que l'on ne doit pas combattre uniquement par des textes de loi. Cette corruption a atteint un niveau rarement égalé depuis l'indépendance politique. Que pensez-vous des mesures prises récemment par le gouvernement en faveur de la jeunesse ? Le gouvernement actuel manque de visibilité et de cohérence dans la démarche de la réforme globale, ayant l'impression que sur le plan économique il n'y a plus de pilote à bord. Ce qui contraint les investisseurs potentiels étrangers ou nationaux à se réfugier dans les segments à gain facile et à court terme. La dépense publique était de 200 milliards de dollars entre 2004/2009 et le gouvernement prévoit 286 milliards de dollars entre 2010/2014, dont 130 pour des projets de 2004/2009 de restes à réaliser avec 70% dans les infrastructures. Or, le développement durable doit reposer sur des entreprises compétitives et sur le savoir. Il y a urgence d'un changement de politique socioéconomique si l'on veut éviter une dérive fatale pour le pays. D'autant que dans 20 à 25 ans, en termes de rentabilité financière, les hydrocarbures iront vers l'épuisement. Or 20 à 25 ans, c'est demain. L'Algérie ayant eu son indépendance politique il y a 47 ans. Il faut dire que l'économie algérienne est foncièrement rentière depuis des décennies : 98% d'exportations en hydrocarbures, 75% des besoins des ménages et des entreprises étant importés et les recettes fiscales hydrocarbures représentant plus de 70%. Tout est irrigué par la rente des hydrocarbures. Aujourd'hui, il est vraiment plus qu'urgent qu'un changement de politique socioéconomique survienne si l'on veut éviter une dérive fatale pour le pays. * Expert international en management stratégique. Docteur d'Etat en sciences économiques. Président et fondateur de l'Association algérienne de l'économie de marché (ADEM).