Résumé de la 2e partie n Barone entre à l'improviste chez sa logeuse et distingue une porte d'où semble provenir un certain bruit... Soudain, cette porte grince sur des gonds rouillés, laissant apparaître une silhouette épouvantable. Une créature humaine ? Oui, c'est une créature humaine, ce squelette aux yeux morts dans des orbites enfoncées. Une créature humaine qui palpe ce qui l'entoure avec des mains maigres et si noires que la simple idée qu'elles puissent le toucher fait frissonner le grutier. Cheveux et barbe hirsutes, le fantôme s'avance, plutôt se traîne, vers Mme Gilia et son locataire bégayant d'une voix éteinte, dans un souffle à peine perceptible : «J'ai faim... j'ai faim...» Il ne va pas bien loin, ce fantôme. Mme Gilia se saisit aussitôt d'un énorme bambou et le chasse comme une bête. Alors jaillissent ces mêmes cris de douleur, ces mêmes plaintes inhumaines qui traversaient comme des cauchemars les nuits du grutier. Mme Gilia pousse le fantôme dans les ténèbres à l'intérieur de la pièce et referme la porte dans le grincement des gonds rouillés. Comme Corrado Barone, la bouche ouverte, s'apprête à la questionner, elle lui dit d'un ton sans réplique : «Ne vous occupez pas de ça !... Au revoir, monsieur Barone.» Au n° 8 de la rue Scipion-l'Africain, un homme de quarante ans descend de voiture, avec un costume croisé impeccable, des cheveux ondulés bien cirés, des lunettes d'écaille, tous accessoires réunis, semble-t-il, par le régisseur d'une équipe de roman-photos pour en habiller son héros : le commissaire Pierangeli. Il est accompagné de deux inspecteurs et d'un représentant des services sociaux. La porte de la maison est entrouverte. Il n'y a qu'à la pousser du pied pour entrer dans une pièce aux murs enduits d'une peinture sombre mais propre. Au plafond bas pendent deux rouleaux de papier tue-mouches. Deux femmes sursautent en voyant entrer ces quatre hommes à l'allure décidée. L'une, brune et opulente, épluche des légumes ; l'autre, mince et blonde, donne le sein à un bébé «Qui êtes-vous ? demande le commissaire Pierangeli. — Mais... nous sommes les filles de Mme Gilia. — Et où est votre mère ? — Elle vient de sortir pour faire des courses.» Le regard inquisiteur du commissaire Pierangeli parcourt la pièce et s'arrête dans le coin obscur sur une porte hermétiquement close. L'opulente brune prévient la demande du policier : «Cette partie de la maison n'a que trois pièces : celle-ci, une chambre, et...» Elle hésite. Le commissaire répète : «Et» ? La jeune femme montre du doigt la porte close. «Voulez-vous m'ouvrir cette porte ?» Le ton du commissaire est aimable mais il s'agit bien d'un ordre. La jeune femme hésite, visiblement troublée : «C'est que... — Je vous demande d'ouvrir immédiatement cette porte. — Obéis, Micheline», conseille à sa sœur la petite blonde. Micheline se saisit alors d'une énorme clef, la tourne péniblement dans la serrure et s'efface. Ce n'est qu'après une forte poussée de l'un des inspecteurs que le battant tourne dans son habituel grincement de gonds rouillés. Le commissaire Pierangeli s'enfonce alors dans un trou noir, d'où monte une odeur si nauséabonde qu'il a un geste de recul. «Eclairez-moi, s'il vous plaît.» Dans le réduit, le briquet d'un inspecteur jette brutalement une lumière tremblotante sur les murs et sur les croisées de l'unique fenêtre barricadée et presque invisible sous une couche épaisse de poussière. A suivre Pierre Bellemare