Liesse n Une foule immense, heureuse, chantante, ivre de cette audace qui après six mois de combats a renversé Mouâmmar Kadhafi et «rendu» le pouvoir au peuple. Ils n'arrêtent pas d'arriver dans la nuit de vendredi à samedi, à pied, en bus, en voitures formant des embouteillages de plusieurs kilomètres le long de la corniche de la capitale libyenne pour atteindre l'ancienne place Verte, lieu symbole du pouvoir de l'ex-homme fort libyen rebaptisé place des Martyrs. Des dizaines de milliers de personnes, beaucoup de femmes en djellabah ou un simple voile de couleur sur la tête, des fillettes en robe de bal, des jeunes gens à la mode ou des personnes âgées en tenue traditionnelle, venues faire la fête deux jours après s'être recueillies pour célébrer l'Aïd El-Fitr. Sur toutes les lèvres, une seule phrase, résumant ce qui parti de manifestations réprimées par le régime mi-février s'est achevé par la victoire de ces étudiants, ouvriers, ingénieurs qui soudain ont bravé la peur pour prendre les armes : «Maintenant nous sommes libres.» «Vous sentez comme l'air que nous respirons est pur ! Nous avons rêvé de vivre cela pendant 42 ans et c'est devenu réel. Aujourd'hui, je ne rêve plus. Notre avenir est radieux». «Libyens levez la tête, vous êtes libres !» ; «La Libye est comme une fleur !», lancent les hommes et les femmes qui se succèdent à la tribune aux pieds de la citadelle ottomane du Sérail rouge, là-même où Mouâmmar Kadhafi avait l'habitude de haranguer ses partisans. De jeunes femmes reprennent sans se lasser l'un des chants révolutionnaires que les combattants mettaient à fond dans leurs voitures ces derniers mois dans les villes libérées : «Ooooh, la Libye nous a appelés, nous avons répondu à son appel.» Des hommes jeunes et vieux dansent au rythme de tambours en se moquant de «l'homme à la chevelure folle», terme désignant Mouâmmar Kadhafi. Jeudi encore, date anniversaire de son coup d'Etat contre le roi Idriss le 1er septembre 1969, l'ancien dirigeant en fuite a appelé «les Libyens, hommes et femmes, à se préparer à la résistance, à une longue guerre». «Tous ceux qui soutiennent encore Kadhafi doivent rejoindre les rebelles leurs frères pour gagner la guerre», dit un homme à la tribune à l'adresse des forces pro-Kadhafi qui résistent dans les derniers bastions de Bani Walid (sud) et Syrte (est). «Thank you», entend-on un peu partout. «Thank you» à la France qui a insisté pour que le Conseil de sécurité de l'ONU autorise les frappes aériennes. A l'Otan pour avoir envoyé ses avions de combats dans le ciel libyen. Au Qatar et aux Emirats pour avoir soutenu le Conseil national de transition (CNT), organe représentant la rébellion désormais reconnu par une grande partie de la communauté internationale.