Un marché Adieu misère, bonjour business ! En pleine crise textile, les confectionneurs de M?dina J?dida ont investi le prêt-à-porter. Train de vie discret et réussites tapageuses. Saïd est un petit homme timide qui veille sur son trésor. C?est le chef d?un atelier de confection à M?dina J?dida. Un temple élevé à la gloire des affaires, de l?argent et de la réussite. Saïd règne avec modestie sur son territoire. Il en connaît tous les secrets, toutes les histoires. Il pourrait faire le récit de ces fortunes réalisées en une seule bonne saison et de ces arrivées triomphales au volant d?une merveille à quatre roues. Il pourrait aussi décrire l?amertume de ceux qui se retrouvent du jour au lendemain au bord du dépôt de bilan et qui se résignent, la mort dans l?âme, à céder leur bolide pour tenter de se remettre à flot. Mais Saïd n?est pas bavard. Il ne raconte rien de cela. Et encore moins à un intrus. Tout juste consentirait-il à vous glisser dans le creux de l?oreille, parce qu?il est vraiment trop excité : «La semaine prochaine, je vais recevoir une nouvelle voiture?» Ce sont les confectionneurs qui ont, dit-on, introduit le culte de la bagnole à M?dina J?dida. Un quartier populaire d?Oran où il est d?ailleurs pratiquement impossible de circuler à n?importe quelle heure du jour. «La plupart ont commencé avec le strict minimum indispensable à la création d?une Sarl, explique Saïd. Les confectionneurs de prêt-à-porter sont acharnés au travail, ils ont un culot phénoménal et n?hésitent pas à prendre tous les risques. Mais ici, c?est plutôt une qualité. Une mauvaise affaire ne sera qu?un coup perdu, pas une catastrophe.» Chaleureux, les confectionneurs de prêt-à-porter sont aussi de très habiles négociateurs, qui parviennent souvent à se refaire. Exubérants, ils estiment qu?il n?y a rien de mal à afficher sa réussite, au contraire. Les belles bagnoles ? «C?est d?abord pour montrer à leurs parents qu?ils ont réussi.» Arrivés en vagues successives de l?intérieur du pays, les confectionneurs de prêt-à-porter vont, peu à peu, bousculer les habitudes de ces «ouled lebled» dont ils ne comprennent ni la méfiance ni la frilosité. D?origine souvent très modeste, ils travaillent en famille sur les marchés ou sont employés comme coupeurs par les fabricants. Ils rêvent de grandeur et de reconnaissance. M?dina J?dida leur apparaît vite comme le tremplin idéal. A cette époque, le quartier est en perte de vitesse. Qu?importe ! Ils vont s?y lancer avec une énergie prodigieuse. Et parvenir à le relancer, le développer et s?en emparer. Comme chaque soir après la fermeture, Saïd décompresse en buvant un «press» chez son ami, un ex du prêt-à-porter reconverti dans la bijouterie. Une journée comme toutes les autres, c?est-à-dire folle. De 9h à 20h, aucun répit. Contrôler les expéditions. Rappeler à l?ordre le façonnier qui ne respecte pas les délais de livraison. Discuter âprement chaque tarif avec les fournisseurs. Choisir minutieusement les échantillons de tissu. Guider le styliste, surveiller le travail du mécanicien. Recevoir les clients, et surtout, le plus difficile : vendre. La force de M?dina J?dida, c?est son extraordinaire rapidité d?exécution. Un grossiste sétifien ou algérois qui vient faire ses achats l?après-midi veut être livré le plus rapidement possible. Aussitôt l?affaire conclue, Saïd prépare à toute vitesse les cartons et n?hésite pas à les livrer lui-même aux transporteurs qui attendent dans la rue voisine. Les robes commandées à 18h 30 seront trois jours plus tard dans les boutiques d?Alger, Annaba, Tiaret?