Hamid est un petit homme timide qui veille sur son trésor. C'est le chef d'un atelier de confection à M'dina J'dida. Un temple élevé à la gloire des affaires, de l'argent et de la réussite. Hamid règne avec modestie sur son territoire. Il en connaît tous les secrets, toutes les histoires. Il pourrait faire le récit de ces fortunes amassées en une seule bonne saison et de ces arrivées triomphales au volant d'une merveille à quatre roues. Il pourrait aussi décrire l'amertume de ceux qui se retrouvent du jour au lendemain au bord du dépôt de bilan et qui se résignent, la mort dans l'âme, à céder leur bolide pour tenter de se remettre à flot. Un monde impressionnant de voyageurs de l'Algérie profonde transite quotidiennement et à longueur d'année ici. L'esprit « souk » est certainement présent en ces lieux, mais la « ville nouvelle » n'a pas le cachet de ses consoeurs de Tlemcen ou de Ghardaïa, par exemple. Pas de dédales pittoresques, pas de couloirs au fond desquels on trouve la caverne d'Ali Baba. Ici, tout est à l'air libre et l'odeur du profit est tenace. Ce sont les confectionneurs de prêt-à-porter qui ont, dit-on, introduit le culte de la bagnole à M'dina J'dida où il est d'ailleurs pratiquement impossible de circuler à n'importe quelle heure du jour. Prendre des risques « La plupart ont commencé avec le strict minimum, indispensable à la création d'une Sarl », explique Hamid. Les confectionneurs de prêt-à-porter sont acharnés au travail, ils ont un culot phénoménal et n'hésitent pas à prendre tous les risques. « Mais ici, c'est plutôt une qualité. Une mauvaise affaire ne sera qu'un coup perdu, pas une catastrophe », affirme Hamid. Chaleureux, les confectionneurs de prêt-à-porter sont aussi de très habiles négociateurs, qui parviennent souvent à se refaire. Arrivés en vagues successives de l'intérieur du pays, les confectionneurs vont peu à peu bousculer les habitudes de ces « ouled lebled » dont ils ne comprennent ni la méfiance, ni la frilosité. Comme chaque soir après la fermeture, Hamid décompresse en buvant un « presse » chez son mai Ali, un ex du prêt-à-porter reconverti dans la bijouterie. Une journée comme toutes les autres, c'est à dire folle. De 9h à 20h, aucun répit. Contrôler les expéditions, rappeler à l'ordre le façonnier qui ne respecte pas les délais de livraison, discuter âprement chaque tarif avec les fournisseurs, choisir minutieusement les échantillons de tissu, guider le styliste, surveiller le travail du mécanicien, recevoir les clients et surtout, le plus difficile, vendre. Aussitôt l'affaire conclue, Hamid prépare à toute vitesse les cartons et n'hésite pas à les livrer lui-même aux transporteurs qui attendent dans la rue voisine. Les robes et les pantalons commandés seront trois jours plus tard dans les boutiques d'Alger, de Annaba, de Tiaret…M'dina J'dida est la vitrine de l'économie de bazar à Oran, le libéralisme a délié les bourses et les habitudes. Le premier noyau de la « ville nouvelle » est resté intact. Il existe autour du vieux marché de légumes un alignement de petites boutiques et d'échoppes d'où partent d'inoubliables arômes d'épices et d'herbes séchées. M'dina J'dida, exubérante et tumultueuse, reste le dernier bastion de la confection qui résiste encore aux effets de la récession économique et de la crise du textile, où le moindre mètre carré de commerce est cédé entre 25 et 30 millions de centimes…